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La répression des infractions fiscales (épisode II) : le cumul des sanctions pénales et administratives

22 janvier 2021
par Pierre-Henri Gout

Après avoir rappelé, dans un premier épisode, que les infractions fiscales pouvaient être réprimées par des sanctions administratives et pénales, il convient cette fois de s’intéresser à la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation relative au cumul de ces sanctions. En effet, le 24 juin 2016, le Conseil constitutionnel a rendu plusieurs décisions dégageant trois importants principes.

Premier principe : un contribuable déchargé de l'impôt par une décision juridictionnelle ne peut pas être condamné pour fraude fiscale

L'article 1741 du code général des impôts constitue le socle de la répression pénale de la fraude fiscale en réprimant la soustraction frauduleuse à l'établissement (infraction d’assiette) ou au paiement total ou partiel des impôts (infraction de recouvrement). La fraude fiscale « simple » est ainsi sanctionnée d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 500 000 euros, tandis que la fraude fiscale « aggravée » (notamment réalisée ou facilitée au moyen de comptes à l’étranger), peut être punie par sept ans d'emprisonnement et une amende de 3 000 000 euros.

Pragmatique, le Conseil constitutionnel a considéré que ces dispositions pénales ne sauraient, sans méconnaître le principe de nécessité des délits et des peines, permettre qu'un contribuable, qui a été déchargé de l'impôt par une décision juridictionnelle devenue définitive « pour un motif de fond », puisse aussi être condamné pour fraude fiscale. A s’en tenir à la lettre de la décision du Conseil constitutionnel, il faut en déduire que ne sont pas concernées les décharges qui résulteraient d’un « motif de forme », comme une irrégularité de procédure.

Deuxième principe : les sanctions pénales ne peuvent s’appliquer qu’aux faits les plus graves

Le principe est que seules les fraudes les plus graves peuvent donner lieu à la fois à des poursuites pénales et fiscales. Pour le Conseil constitutionnel, cette gravité peut résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention. La notion de « gravité » repose ainsi sur trois critères généraux qui ont ensuite été précisés par la Cour de cassation. A titre d’exemple, furent retenus comme tels, pour le défaut de déclaration de sommes sujettes à l’impôt sur le revenu, la réitération de faits d’omission déclarative sur une longue période en dépit de plusieurs mises en demeure ou encore la qualité « d’élu de la République » du prévenu. En matière de dissimulation de sommes sujettes à l’impôt sur le revenu et à l’ancien impôt de solidarité sur la fortune, a été retenu le recours à des intermédiaires établis à l’étranger ou encore le montant des droits éludés (de 235 580 €).

En pratique, le juge pénal doit s’interroger sur le cumul de sanctions, au besoin d’office, dès lors que lui a été signalée l’existence d’une précédente poursuite de nature fiscale. Cette position a été affirmée, le 11 septembre 2019 par la Cour de cassation : « Lorsque le prévenu de fraude fiscale justifie avoir fait l’objet, à titre personnel, d’une sanction fiscale pour les mêmes faits, il appartient au juge pénal […], préalablement au prononcé de sanctions pénales, de vérifier que les faits retenus présentent le degré de gravité de nature à justifier la répression pénale complémentaire ». A défaut de caractériser une telle gravité, le juge pénal ne peut entrer en voie de condamnation.

Or, nous l’avons vu, la condition de gravité ne résulte pas uniquement du montant des droits éludés, aisés à caractériser, mais peut prendre en considération d’autres circonstances beaucoup plus « subjectives » tenant à la nature et au contexte des agissements de la personne poursuivie. Face à de telles incertitudes, à un manque de clarté pour le justiciable qui doit pouvoir connaître les situations susceptibles d’être poursuivies à la fois pénalement et fiscalement, la Cour de cassation a, dans un arrêt du 21 octobre 2020, interrogé la CJUE à propos de la conformité des règles nationales avec le droit de l’Union européenne, dont le principe « ne bis in idem » (le droit de ne pas être jugé ou puni pénalement deux fois pour une même infraction). La réponse est attendue avec impatience…

Troisième principe : le montant cumulé des sanctions administratives et pénales est plafonné

Dans les mêmes décisions du 24 juin 2016, le Conseil constitutionnel précisait que dans l'éventualité où deux procédures engagées pouvaient conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité impliquait « qu'en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues ».

Mais pour appliquer ce plafonnement, encore faut-il que les sanctions soient de même nature, c'est-à-dire pécuniaires : par exemple, le principe de proportionnalité n’est pas méconnu lorsque le juge pénal condamne un prévenu, à l’encontre duquel des pénalités fiscales définitives ont été prononcées, à une peine d’emprisonnement (à la condition qu’aucune amende pénale ne lui ait été infligée).

En l’état du droit, en étant focalisé sur les seules sanctions pécuniaires, le juge pénal n’a qu’une vision parcellaire, car il ne s’assure pas que la charge résultant de l'ensemble des sanctions prononcées à l’encontre d’un justiciable n'est pas excessive au regard de l'infraction.

Dans le même arrêt du 21 octobre 2020, la Cour de cassation a donc interrogé la CJUE aux fins de déterminer si l’exigence de nécessité et de proportionnalité du cumul des sanctions administratives et pénales était remplie par les règles nationales.

A suivre….

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