Preuve d’un transfert indirect de bénéfices à l’étranger : le Conseil d’Etat rappelle la méthode
Le Conseil d’Etat a rendu une décision importante le 19 septembre dernier*en matière de prix de transfert, un thème lourd d’enjeux pour les contrôles fiscaux depuis ces dernières années.
Avant d’examiner la solution dégagée par le Conseil d’Etat, un bref rappel des circonstances de l’affaire …
La société Philips France exerce une activité de recherche pour laquelle elle perçoit de l’Etat des subventions issues du fonds de compétitivité des entreprises ainsi que des sommes au titre du crédit d’impôt recherche (CIR). Liée à sa société mère néerlandaise par un contrat dit de « General Services Agreement », la société Philips France s’engageait, au terme de cette convention, à lui céder la propriété des droits incorporels non « brevetables » issus de son activité de recherche, à un prix égal au coût de revient des opérations de recherche correspondantes, majoré de 10 % (méthode « cost plus »).
A l’occasion d’un contrôle fiscal, l’administration a relevé que la société française déduisait, pour la détermination du coût de revient des actifs incorporels cédés à sa mère, le montant des subventions reçues de l’Etat et du CIR dont elle bénéficiait, avant d’appliquer la majoration de 10 % permettant d’aboutir au prix effectivement facturé.
Considérant ces déductions constitutives d’un transfert indirect de bénéfices à l’étranger, l’administration a en conséquence réintégré aux résultats de l’entreprise le montant de ces subventions et crédits d’impôt dans le coût de revient que la société Philips France aurait dû, selon elle, retenir pour la détermination du prix de cession, à sa société mère, de ses travaux de recherche.
Saisi de ce litige, le Conseil d’Etat y a vu l’occasion de rappeler la méthode…
Dans le but d’empêcher les transferts à l’étranger de bénéfices normalement imposables en France, la loi permet à l’administration fiscale de rectifier les résultats d’une entreprise à concurrence du montant des bénéfices irrégulièrement transférés.
Le législateur a ainsi institué une présomption de transfert indirect de bénéfices à l’étranger, lorsqu’est établi l’existence d’un avantage anormal consenti par une société française à une société étrangère qui lui est liée, caractérisé par une insuffisance du prix facturé, déterminé par comparaison avec le prix de pleine concurrence pratiqué par des entreprises indépendantes comparables sauf, pour la société française, à justifier que cet avantage a eu pour elle des contreparties au moins équivalentes.
A défaut de procéder à une telle comparaison, l’administration ne peut pas invoquer la présomption de transfert de bénéfices à l’étranger. Elle doit alors établir que l’entreprise française a consenti une libéralité à l’entreprise étrangère, résultant d’un écart injustifié entre le prix convenu et la valeur vénale du bien ou du service qui en est la contrepartie.
Dans sa décision du 19 septembre dernier, le Conseil d’Etat rappelle la distinction qui existe entre avantage par nature et avantage par comparaison dans le cadre de la démonstration d’un transfert de bénéfices à l’étranger et juge au cas particulier que :
La déduction des subventions reçues de l’Etat pour fixer le prix de refacturation par une société française à sa société mère étrangère du coût de ses travaux de recherche ne suffit pas, par elle-même, et indépendamment du niveau du prix de cession auquel cette déduction conduit, à laisser présumer l’existence d’un transfert de bénéfices à l’étranger.
L’administration fiscale doit donc apporter la preuve de l’insuffisance de prix et donc démontrer par comparaison que des sociétés indépendantes placées dans une situation similaire réaliseraient une marge supérieure à celle réalisée par la société française.
Or, faute d’avoir présenté des termes permettant de comparer valablement les prix facturés par la société française à sa mère étrangère et ceux pratiqués entre entreprises indépendantes et ne proposant aucune méthode alternative pouvant se substituer à cette comparaison, le Conseil d’Etat juge que l’administration ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, de l’existence du transfert de bénéfices allégué.
L’internationalisation des échanges a inévitablement conduit l’administration fiscale à s’intéresser à leur contrôle…
Le contexte normatif national et international mouvant et complexe, combiné à une circulation facilitée de l’information entre les administrations fiscales des différents Etats appellent désormais à faire preuve de plus de vigilance et de rigueur dans l’établissement de la documentation prix de transfert.
Sur les prix de transfert comme dans d’autres sujets, en matière de contrôle fiscal, anticipation et préparation sont toujours de mise…
* CE, 8ème et 3ème chambres réunies, 19 septembre 2018, n°405779, Min. c/ Sté Philips France