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Covid 19 et prévention des risques : que nous apprennent les premières décisions de justice ? Entretien avec Xavier Delassault

24 avril 2020
par Xavier Delassault

Depuis la mise en place du confinement, l’inspection du travail multiplie les contrôles et n’hésite pas à solliciter en justice la fermeture des établissements qui, selon elle, ne respecteraient pas le code du travail. La Poste, Amazon, Carrefour Market, de premières décisions de justice nous éclairent sur l‘interprétation de l’obligation d’évaluation des risques et l’application des mesures de prévention de l’employeur face au risque lié à l’existence du covid-19.
Xavier Delassault, Directeur du réseau Prévention & gestion du risque pénal de Fidal, vous propose en exclusivité son décryptage.

Quelle est la position des juges quant à la poursuite ou la reprise d’activité en période de confinement ? Sur quels fondements juridiques les tribunaux ont-ils condamné des entreprises ?

Les juges considèrent que l’activité des entreprises peut continuer. En revanche, ils veulent s’assurer que des dispositions effectives, et surtout efficientes, ont bien été prises par les employeurs pour protéger leurs salariés contre le risque du covid-19. Ce risque ne fait d’ailleurs pas l’objet de textes spécifiques. De ce fait, les employeurs doivent s’appuyer sur les recommandations sanitaires, les guides publiés par les organisations syndicales dont les informations sont souvent assez précises et les textes généraux du code du travail.

A cet égard, les décisions des juges reposent sur l’article L 4121-1 du code du travail qui impose à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs en s’appuyant sur des actions de prévention, des actions d’information et de formation et la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

Quels sont les éléments qui ont permis d’entrer en voie de condamnation ?

Aujourd’hui, les juges se livrent à un examen assez minutieux et concret des mesures mises en œuvre par les entreprises. Ils attendent que l’entreprise démontre avoir d’une part analysé la situation de travail, de l’entrée à la sortie du travail et d’autre part adopté des règles de précautions pertinentes et efficaces. L’entreprise doit associer à cette démarche la médecine du travail et, nouveauté, les partenaires sociaux, notamment le Comité Social et Economique (CSE). Enfin, l’entreprise doit démontrer avoir informé et formé les salariés sur les mesures adoptées.

Surtout, je retiens de la lecture de l’ensemble des décisions que souvent les employeurs peinent à justifier de l’intégralité de la démarche, non pas parce qu’elle n’est pas faite mais parce qu’elle n’est pas formalisée. Ce travail de formalisation, bien que les entreprises doivent nécessairement s’adapter dans l’urgence, est pourtant indispensable.

Le risque lié au covid-19 est-il un risque biologique au sens du code du travail ?

C’est un sujet délicat. Il parait évident que le covid-19 est un agent biologique. Mais la question de savoir si son existence impose, à toutes les entreprises, d’appliquer les règles du code du travail très strictes en matière de risques biologiques ne relève pas de l’évidence. A cette question les premières décisions de première instance répondent néanmoins par l’affirmative. Pourtant les dispositions du code du travail réservent l’application de la règlementation relative au risque biologique aux seules entreprises dont la nature de l’activité conduit à exposer les travailleurs à ce risque. Or, au regard de ce critère, la nature de l’activité d’une grande surface ne devrait pas conduire à l’exposition à un tel risque et en conséquence les règles légales et réglementaires associées au risque biologique ne devraient pas avoir vocation à s’appliquer. Et d’ailleurs comment appliquer dans un supermarché des règles créées pour prévenir « l’utilisation d’agent biologique dangereux ».

Attention cela ne signifie pas pour autant que l’employeur ne serait pas tenu de prendre des mesures de précaution par rapport au risque lié au covid-19 puisque cette obligation s’applique à tous les employeurs. Pour autant faut-il imposer à tous les obligations légales que le code du travail réserve aux activités dont la nature expose à un risque biologique ?

Y a-t-il des enseignements à tirer de ces décisions pour l’après 11 mai ?

Les décisions prises par les juges ne le sont pas à raison de la période de confinement mais à raison de l’existence du covid-19. Le 11 mai, ce virus continuera d’exister. Aussi, toutes les règles actuellement préconisées auront encore vocation à être appliquées le 12 mai et après. Les entreprises doivent donc, dès maintenant, se préparer à une reprise d’activité qui ne pourra pas s’effectuer sans une réflexion autour de l’exposition des salariés au risque covid. Si les entreprises veulent reprendre sereinement une activité le 11 mai, il est nécessaire qu’elles réfléchissent dès aujourd’hui, avec leurs partenaires sociaux et la médecine du travail à la façon dont elles vont concrètement s’y prendre. A défaut elles risquent de se heurter aux mêmes difficultés que les entreprises qui ont maintenu leur activité. Il leur est donc nécessaire de se faire accompagner dans la formalisation de leur travail d’analyse des risques et de détermination des mesures de précaution.

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