Cession de droits de propriété intellectuelle à titre gratuit : points d’attention
auteurs
Marianne Fares Avocate
Dominique Pourtau Avocate Directrice Associée
Marina Rodrigues Avocate Associée
Actualité
04 mars 2025

Cession de droits de propriété intellectuelle à titre gratuit : points d’attention

1. La cession à titre gratuit est-elle une donation ?

La jurisprudence récente tend à appliquer le régime de la donation à l’acte de cession d’un droit de propriété intellectuelle à titre gratuit.

Or, le régime de la donation impose le formalisme de l’acte authentique, c’est-à-dire passé devant notaires, sous peine de nullité.

Un acte de cession de droits de propriété intellectuelle à titre gratuit non-passé devant notaires est donc susceptible d’être déclaré nul.

2. Une contrepartie non financière permet-elle d’échapper au régime de la donation ? 

  • En matière de droits d’auteur :

Si en 1987 et 1998 les Juges ont admis l’existence de contreparties d’une autre nature que financière, le 11 septembre 2024 le Tribunal Judiciaire de Paris semble déduire l’application du régime de la donation de l’absence de contrepartie financière, indépendamment de l’existence d’une contrepartie autre que financière.

La portée de cette dernière décision, qui pourrait par exemple viser la cession de droits sur des logiciels, est toutefois à nuancer car il s’agit d’une décision rendue en référé qui ne tranche pas le fond du litige et dont les mesures ne sont que provisoires.

  • En matière de marques et de dessins et modèles :

Le 13 mars 2024, la Cour d’appel de Paris a statué sur la validité d’une cession à titre gratuit d’une marque par l’un des cotitulaires au bénéfice de sa propre société.

Bien que la Cour ait également apprécié la validité du consentement, elle a considéré que cette cession à titre gratuit était nulle à défaut de respecter les conditions applicables à la donation en précisant :

    - « […] aucune stipulation du contrat ne permet de conclure qu’il ne s’agirait pas d’une véritable donation, marquée par l’intention purement libérale des parties, aucune contrepartie n’étant clairement évoquée à la charge du cessionnaire […] » ;

    - « [le cédant] ne peut utilement faire valoir qu’en tant qu’associé et président de la société cessionnaire, il en percevait des dividendes et rémunérations, celles-ci n’étant pas la contrepartie de la cession litigieuse […] ». 
 

3. L’ « euro symbolique » est-il une solution ?

Si l’on devait être tenté de contourner les dispositions relatives à donation par le versement d’un prix symbolique, le risque de nullité de l’acte demeure en application de l’article 1169 du Code civil qui prévoit que : « un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est illusoire ou dérisoire ».

4. Existe-t-il des risques fiscaux ?

L’administration fiscale contrôle attentivement les opérations réalisées à titre gratuit ou pour un prix symbolique, surtout lorsqu’elles sont réalisées entre sociétés du même groupe ou entre membres de la même famille : elle cherche à déterminer s’il existe une discordance entre la valeur réelle des droits cédés et la contrepartie reçue par le cédant.

Dans l’affirmative, elle dispose de plusieurs fondements de redressement : acte anormal de gestion reproché au cédant lorsqu’il s’agit d’une entreprise ; produit imposable pour le cessionnaire lorsqu’il s’agit d’une entreprise ; application des droits de mutation à titre gratuit (pouvant aller jusqu’à 60% de la valeur réelle des droits cédés)…

Depuis le 1er janvier 2024, l’administration fiscale est dotée de pouvoirs renforcés pour contrôler certaines opérations de cession portant sur des droits de propriété intellectuelle considérés comme difficiles à évaluer.
 

Cession de droits de propriété intellectuelle à titre gratuit : points d’attention

Au regard de ces décisions, le défaut de contrepartie financière, bien qu’il ne soit pas toujours assimilé à une cession à titre gratuit par des Tribunaux qui recherchent l’existence d’autres contreparties, présente toutefois un risque non-négligeable de nullité de la cession si elle ne respecte pas le formalisme de la donation.

A défaut, une contrepartie non financière pourrait être envisagée et soutenue devant les juridictions pour tenter d’échapper à cette contrainte à condition d’être clairement explicitée par le contrat et de correspondre à une réalité.