Episode 3.
Enjeux et perspectives.
Les enjeux du débat actuel sont multiples, essayons de les éclairer
Le « Better law making » :
Avant d’aborder le fond, intéressons-nous à un sujet de méthode. Le « Better law making », («Mieux légiférer » en français) résulte d’un accord interinstitutionnel entre le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne, visant à améliorer la manière dont l’Union européenne légifère, en veillant à ce que le Parlement européen, le Conseil et la Commission européenne s’engagent à coopérer en toute loyauté et transparence, tout au long du cycle législatif dans le but, également, de réduire le poids des lobbies. Au vu du récent débat ayant entouré l’omnibus C.S.R.D, on peut raisonnablement s’interroger sur l’effet réel de ce dispositif sur le poids et le rôle des lobbies. Il serait cocasse de voir les entreprises, sur le terrain, s’approprier une norme en tout ou partie abrogée, mais dans laquelle elles trouvent un sens et qu’elles souhaitent spontanément continuer à appliquer. Ce serait là un pied de nez, inédit, au législateur.
Le risque systémique
Les tenants de la C.S.R.D. en reviennent, à juste titre, aux fondements du texte. La C.S.R.D. vise à préserver les entreprises européennes d’un risque systémique.
Tous les systèmes que nous utilisons, qu’ils soient financiers, énergétiques, logistiques, ont un point commun, ils doivent être durables et robustes et il est important que tout soit mis en œuvre pour éviter leur effondrement.
Or, les catastrophes naturelles liées au réchauffement climatique se succèdent et s’amplifient.
Chez les assureurs, le risque climatique est en passe de devenir le premier risque ,devançant les sujets de cyber sécurité. Si les entreprises européennes, demain, veulent continuer à être assurées, fut ce à des coûts beaucoup plus élevés, elles devront être en capacité de prouver qu’elles ont déterminé leurs risques en anticipant un scenario de hausse des températures et qu’elles ont effectivement pris des mesures d’adaptation, rendant leur modèle résilient. Tout ceci devra être suffisamment documenté et étayé. A défaut, elles risquent, pour nombre d’entre elles, de ne plus être assurables, avec les conséquences induites que l’on peut imaginer et ce, à l’échelle européenne.
La C.S.R.D est un exercice d’introspection profonde, auquel l’entreprise est invitée. Décider d’occulter un risque, ne le supprime, malheureusement, pas. Supprimer ou alléger très significativement la C.S.R.D. pourrait à cet égard, amplifier le risque d’inaction et augmenter à moyen terme, le risque systémique sus évoqué, dont les conséquences pourraient être significatives pour l’Europe.
La bataille des normes
La mise en œuvre de la directive C.S.R.D. s’est accompagnée, en coulisses, d’une bataille des normes
On a pu parler au sujet de la C.S.R.D. d’une « avancée historique » va-t-on parler à compter du 26 février prochain d’un « recul historique » ?
L’Europe a confié une mission à l’EFRAG en vue de définir une norme européenne en matière de rapport de durabilité. A l’initiative de la fondation IFRS, qui produit les normes du même nom, l’ISSB(1) qui est une émanation de la fondation IFRS a travaillé parallèlement à l’élaboration de sa propre norme. Toute norme traduisant un système de valeurs et une certaine vision, les deux référentiels sont d’inspiration différentes, l’un traduisant une vision européenne de double matérialité, l’autre une vision davantage anglo saxonne, de matérialité simple (prise en compte des impacts de l’environnement sur l’entreprise uniquement sous un angle essentiellement financier).
Suivant un principe simple, « qui tient la norme tient le marché » l’enjeu était de taille pour les compétiteurs. L’EFRAG ayant produit sa norme, des arbitrages sont intervenus ensuite entre l’EFRAG et l’ISBB pour envisager une compatibilité des normes, afin de permettre une forme d’interopérabilité et de convergence entre les deux normes, pour les sociétés concernées géographiquement par chacune de ces normes. Les récentes évolutions géopolitiques, pourraient bien conduire à rebattre les cartes, voire à abandonner le principe de double matérialité. L’histoire n’est certainement pas terminée sur ce volet, la directive Omnibus ayant vocation à simplifier et à aligner les indicateurs de durabilité les plus importants et les plus normalisés (corpus de standards minimum)
Soulignons également le fait que la C.S.R.D. a fait des émules, la Chine ayant établi son propre système de reporting le C.S.D.(2)S. très proche du standard européen de la C.S.R.D. et basé sur le principe européen de la double matérialité.
Un enjeu de souveraineté
Il existe bel et bien un enjeu de souveraineté, derrière ce débat de la norme.
La question sous-jacente est : l’Europe aura-t-elle la volonté et sera-t-elle en capacité de maintenir son propre référentiel ambitieux de normes et d’offrir une troisième voie entre les normes Américaines et Chinoises ?
La directive C.S.R.D. a un impact extra territorial.
Pour rappel, à date, les entreprises non européennes qui génèrent au moins 150 millions d'euros de chiffre d'affaires net dans l'UE devront, elles aussi, publier des informations relatives à la durabilité, réaffirmant la volonté de l'Union Européenne d'imposer ses normes, au-delà de ses frontières.
Le récent « Defending american companies and innovators from overseas extorsional and unfair fines and penalties” américain du 21 février 2025, dont le titre est en soi un programme, prévoit notamment que l’administration américaine devra prendre en compte (au sens de combattre) les réglementations imposées aux entreprises américaines par des gouvernements étrangers qui pourraient entraver la croissance ou les activités des entreprises américaines. Nous restons dans le vert, mais celui de la jungle, de la dérégulation, désormais.
Cela aura peut-être un effet indirect positif, les chercheurs américains travaillant sur les sujets climatiques et d’environnement, qui ne pourront plus poursuivre leurs travaux outre atlantique trouveront peut-être, en Europe, un terrain propice à la poursuite de leurs recherches.
Une vision compliance de la C.S.R.D., erronée :
L’arrivée de la C.S.R.D et du rapport de durabilité a été abordée par de nombreux acteurs, comme un nouveau marché, juteux, notamment pour les auditeurs, avec un regard « compliance » détournant ainsi la C.S.R.D. de ses objectifs premiers. Comme nous l’expliquions dans le premier épisode, la C.S.R.D ne répond fondamentalement pas à un exercice de compliance. Sa vocation première est d’être transformative.
L’approche compliance prônée par certains, la réduction de l’exercice à la saisie de données dans un logiciel, en vue de la production d’un rapport, présenté comme l’objectif ultime, a très certainement desservi le dispositif, le détournant de sa finalité première.
Dans le nouveau contexte géopolitique que nous connaissons, l’Europe aura-t-elle le courage de ses ambitions. Voudra -t-elle et/ou pourra-t-elle simplement résister pour imposer son modèle original, là est actuellement toute la question.
Il existe très certainement une voie pour simplifier le process sans renoncer à la finalité. Il passe vraisemblablement par une révision de la méthode utilisée, en ne raisonnant pas « hors sol » de manière abstraite, avec une batterie d’indicateurs, mais en partant du terrain, et de quelques indicateurs pertinents, quitte à monter ensuite progressivement les exigences, par étapes.
Nombre d’entreprises ont la volonté d’avancer et de s’améliorer, mais ont été rebutées par la complexité de ce qui leur était imposé, qui ne faisait que s’ajouter à nombre d’autres obligations émanant d’autres dispositions légales. Le sentiment de trop plein était perceptible.
Les récents débats sur la C.S.R.D font clairement ressortir le fait qu’il s’agit en fait davantage d’un sujet de méthode que de finalité. Retenons, pour conclure, que lorsqu’il a une volonté, il y a toujours un chemin ! N’en doutons pas, il sera trouvé.
(1) International Sustainability Standard Boards (I.S.S.B.)
(2) China Sustainability Disclosure Standards
