Episode 2. Le Séisme
Omnibus ou Terminus ?
Les élections américaines, les récents rapports Draghi et Letta mettant en lumière le décrochage économique européen, du fait d’un ralentissement de la croissance dans l’Union européenne depuis les années 2000 et du mode de fonctionnement de l’UE, jugé pas assez agile et pas assez innovant, marquent une évolution de contexte.
Le rapport Draghi préconise une « débureaucratisation », une simplification des réglementations européennes, visant à éliminer les obstacles qui freinent la capacité d'innovation des entreprises
Une interview du vice-président exécutif de la Commission européenne, le 20 janvier dernier, évoquant la nécessité de simplifier la législation européenne, a laissé entendre qu’une suppression du reporting de durabilité, prévu par la C.S.R.D, était envisagée. Ces propos ont provoqué un véritable séisme et des réactions extrêmement vives, notamment auprès de grandes entreprises concernées par le dispositif, qui y ont investi de l’énergie, du temps et quelques moyens et d’entreprises plus petites, mais pionnières, ayant engagé une démarche volontaire, convaincues de son bien-fondé.
D’autres voix, se sont élevées pour souligner le caractère déraisonnable du dispositif actuel dans ses exigences et dans la charge de travail et les coûts qu’il représente.
Qu’est ce qui n’a pas fonctionné pour en arriver à une telle situation ?
Le nombre d’E.S.R.S (1170) a pu être mis en avant, même si l’entreprise n’a l’obligation de retenir que ceux qui sont pertinents pour elle, ce qui réduit considérablement le champs des E.S.R.S. à retenir.
La volonté d’aller trop dans le détail ?
Nul ne peut le dire avec précision. On ne peut toutefois que constater qu’on en est venu, par une vision, souvent très court termiste, marquée, il est vrai, par un contexte économique globalement peu favorable, à opposer la durabilité à la compétitivité.
Les instances européennes ont certainement péché par idéalisme constructif au détriment du réalisme ambitieux.
C’est un trait européen caractéristique ; à vouloir être trop parfait, trop complet, précis, on perd parfois le sens de l’exercice, dissuadant au passage les acteurs chargés de la mise en œuvre pratique du dispositif. Au vu des récentes critiques que nous avons vu poindre sur la mise en œuvre de la C.S.R.D, on peut raisonnablement penser que sa complexité a eu, en partie, raison de son efficacité.
La C.S.R.D. est-elle pour autant à mettre aux oubliettes ?
Terminus, vraiment ? Rien n’est moins sûr.
Le 28 janvier, la Commission dans sa « boussole de compétitivité pour l’Europe » a posé deux exigences de base pour des politiques mieux adaptées au soutien de la compétitivité, à savoir :
- Simplifier et accélérer l’environnement réglementaire en réduisant la charge et la complexité excessive et en favorisant la rapidité et la flexibilité.
- Mieux coordonner les politiques au niveau de l’union européenne et au niveau national plutôt que de poursuivre des objectifs séparément.
Dans sa communication au parlement européen, au conseil, au comité économique et social européen et au comité des régions, de son programme de travail pour 2025, la commission européenne caractérisait sa future action par le souhait « d’aller de l’avant ensemble pour une union plus audacieuse, plus simple et plus rapide »
Le programme de travail de la Commission prévoit un premier paquet Omnibus sur le développement durable, prévu pour le premier trimestre 2025. La date du 26 février 2025 a été avancée s’agissant de l’Omnibus relatif à la C.S.R.D.
Parmi les mesures retenues, portant sur des secteurs prioritaires, signalés par les parties prenantes et mentionnées dans le rapport Draghi, la Commission entend proposer de rationnaliser et simplifier les rapports sur le développement durable (C.S.R.D.), la diligence raisonnable en matière de développement durable (C.S.D.D.D) et de taxonomie et de créer une nouvelle catégorie d’entreprises de taille moyenne, avec des exigences adaptées. Plus globalement, la Commission européenne ambitionne une réduction des charges administratives d’au moins 25% et d’au moins 35% pour les P.M.E.
On parle donc, a minima, d’une révision des directives C.S.R.D. et de la taxonomie. Le sort de la directive C.S.3.D semble, à date, plus incertain, elle pourrait être vidée d’une partie de sa substance. La révision de la directive C.S.R.D. prendra du temps, la Commission pouvant proposer, impulser, mais n’ayant pas le pouvoir législatif. La révision de la directive devra passer par le parlement européen. Post modification de la directive, la transcription dans le droit national prendra également un certain temps, l’Omnibus ayant vocation à laisser, à chaque Etat membre, un délai minimum de douze mois, pour une retranscription dans le droit national.
A date, la directive, C.S.R.D. telle que transposée dans le droit français, demeure applicable et les grandes entreprises non cotées, concernées, qui sont astreintes à la publication d’un premier rapport de durabilité en 2026, doivent garder ce point à l’esprit.
On comprend aujourd’hui que l’Omnibus, ne sera finalement pas un terminus pour la C.S.R.D, mais un ajustement, une remise à l’échelle.
L’ambition de la Commission est de réduire les charges de reporting pour renforcer la compétitivité en modifiant les directives 2006/43/CE, UE 2022/2462/ UE 2024/1760, afin d’atteindre ces objectifs, tout en maintenant les objectifs du Pacte Vert européen et le plan d’action pour la finance durable.
Que contiendra l’Omnibus ?
Nul ne peut le dire de façon certaine, mais on peut raisonnablement penser qu’il pourrait contenir des mesures de réduction de la charge de travail par rapport à l’existant, de relèvement de seuils quant à l’obligation de produire un rapport de durabilité, (les seuils de 450 000 000 de CA HT et 1000 salariés ont pu être avancés), limitant, de facto, significativement le nombre d’entreprises concernées. Il pourrait également contenir une réduction du nombre d’E.S.R.S. pour ne retenir que les plus pertinents, ainsi qu’une appréciation limitée, notamment pour la C.S.3.D, de la chaine de valeur limitée aux fournisseurs directs et en prenant en compte un critère de taille d’effectifs des sociétés concernées par ladite chaine de valeur, en visant principalement à limiter la contrainte, en termes de demandes, sur les acteurs de la chaine de valeur. La notion de partie prenante serait revue à la baisse. Il ne serait plus question d’E.S.R.S. sectoriels. La question que beaucoup se posent est de savoir si l’Europe ira jusqu’à abandonner le principe de double matérialité, qui était la marque de fabrique du rapport de durabilité. On évoque également un système d’évaluation de risques qui permette aux entreprises de se jauger. Les normes sectorielles ne seraient plus d’actualité. Les normes d’application volontaire de la C.S.R.D. auraient également vocation à être proportionnées.
Un acte délégué pourrait envisager un nouveau cadre de rapport volontaire.
Soulignons que la création d’une catégorie d’entreprises de taille moyenne, qui pourrait correspondre à ce qu’on appelle communément les E.T.I en France, avec une réglementation adaptée à leur taille est une évolution qui se doit d’être soulignée. Elle répondra à l’attente de nombre d’entreprises, de taille intermédiaire, à qui s’appliquait une législation disproportionnée eu égard à leur taille et à leurs moyens.
Réponse aux questions prévue le 26 février prochain, date annoncée de l’arrivée de l’Omnibus.
