
La réforme entrée en vigueur le 1er décembre 2019 a profondément modifié les procédures d’instruction en matière d’accidents du travail et de maladies professionnelles.
S’agissant des pathologies relevant du CRRMP, un délai spécifique de consultation a été prévu par l’article R461-10, scindé en deux phases, la première de trente jours francs, pendant laquelle les parties peuvent consulter le dossier, formuler des observations et compléter le dossier, la seconde de dix jours francs pendant laquelle seules une consultation du dossier et la formulation d’observations sont possibles.
Les parties ne disposant du dossier qu’au terme de l’instruction, dans des situations parfois très complexes (maladies psychiques notamment), ce délai permet à chaque partie de disposer d’un délai nécessaire pour prendre connaissance du dossier, répondre aux éléments versés par l’autre partie, afin de permettre au CRRMP de disposer d’un dossier complet.
La question posée à la Cour de cassation était de savoir si le non-respect du délai de trente jours francs prévu par l’article R461-10 du Code de la sécurité sociale entraîne-t-il l’inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie ?
La Cour de cassation vient de rendre un arrêt faisant droit au pourvoi de la CPAM qui soutenait d’une part que le point de départ du délai de quarante jours francs était la date à laquelle elle décidait de saisir le CRRMP et d’autre part, que seul le non-respect du délai de dix jours francs pouvait justifier l’inopposabilité de la décision de prise en charge (Cass civ 2ème 5 juin 2025 n° 23-11.391).
La décision, qui vient contredire la jurisprudence majoritaire des Cours d’appel, apparaît pour le moins surprenante.
Rappel fait des dispositions de l’article R461-10 précité, la Haute Cour retient en premier lieu que « l'économie générale de la procédure d'instruction » impose la fixation de dates d'échéances communes aux parties et de retenir que le délai de quarante jours, comme celui de cent-vingt jours prévu pour la prise de décision par la caisse dans lequel il est inclus, commence à courir à compter de la date à laquelle le comité régional est saisi par celle-ci.
La référence à « l’économie générale de la procédure d’instruction » est une notion qui ne semble jamais avoir été utilisée, à tout le moins énoncée dans ces termes, par la Cour de cassation au titre de la procédure d’instruction menée par les CPAM.
En réalité, la pratique antérieure au 1er décembre 2019 montre clairement qu’il était possible à la CPAM de fixer un délai commun aux parties en respectant le délai de consultation à dix jours francs (R441-14 en sa rédaction antérieure au 1.12.2019), puisque la CPAM adressait aux parties une lettre les informant du renvoi au CRRMP et du délai - à venir - de consultation (en général quelques jours plus tard pour tenir compte de l’acheminement postal). Cette pratique permettait ainsi pour chacune des parties de disposer d’un délai uniforme et conforme à l’article R441-14, pour consulter le dossier.
L’approche d’une « économie générale de la procédure d’instruction » est donc très surprenante, voire décevante par son imprécision, puisqu’elle permet de justifier qu’un délai de mise à disposition des pièces et de consultation ne soit pas, au final, respecté.
Il en résulte un délai de mise à disposition des pièces pouvant être consultées et complétées qui débute avant même que les parties n’en soient informées, peu en phase avec l’objectif de la réforme de la procédure d’instruction qui avait pour objectif de permettre aux parties une forme de débat contradictoire avant que le dossier ne soit transmis au CRRMP et examiné, d’autant que seuls la CPAM et le service médical bénéficieront d’un délai intégral.
Cette position de la Cour de cassation peut tout autant apparaître en opposition avec sa jurisprudence antérieure, selon laquelle l'obligation faite à la caisse, en cas de saisine d'un CRRMP, d'assurer l'information de l'employeur sur la procédure d'instruction et sur les points susceptibles de lui faire grief avant la transmission du dossier audit CRRMP, afin de permettre aux parties de formuler ses observations devant ledit comité avant que ce dernier ne rende son avis qui s'impose à la caisse. (Cass civ 2ème 27 janvier 2022 – n° 20-18.059 ; Cass Civ 2ème 18 décembre 2014 – n° 14-11.272 notamment)
L’objectif qui semblait sous-tendre la position de la Cour de cassation était de garantir pour les parties un accès au dossier, correspondant, depuis 2019, à la possibilité de consulter le dossier et de formuler d’éventuelles observations (R441-8 et R461-9 du CSS) ou de compléter le dossier (R461-10). Il était donc cohérent d’espérer une application de ces principes aux délais de l’article R461-10, puisqu’il s’agit bien d’un délai de consultation de quarante jours francs.
La Cour de cassation rappelle en second lieu l’obligation pour la CPAM d’informer les parties sur les dates d’échéance puis énonce que seul le non-respect du délai de dix jours francs est sanctionné par l’inopposabilité de la décision de prise en charge, excluant ainsi du principe du contradictoire le délai de trente jours francs. Cette position apparaît pour le moins peu explicite et partant, peu satisfaisante.
Il est à craindre que ce délai de trente jours francs soit considérablement réduit en pratique par les CPAM dans le cadre des instructions de maladies professionnelles visées aux alinéas 6 et 7 de l’article L461-1 du Code de la sécurité sociale, dès lors qu’aucune sanction n’est attachée au non-respect de ce délai, ni d’ailleurs à celui de quarante jours francs, supposés garantir le respect du contradictoire, en termes de délais.
D’aucun penserait que l’objectif est de réduire le contentieux de l’opposabilité des décisions de prise en charge voire de régulariser a posteriori un décompte erroné des délais par les CPAM lors de la mise en œuvre de la réforme, via une notion d’ « économie générale de la procédure d’instruction », qui pourrait, par son imprécision, justifier une réduction des droits des parties à l’instruction notamment quant au contenu du dossier.
Faute de respect du contradictoire, sans doute de nombreux justiciables seront tentés de saisir la juridiction pour obtenir le renvoi du dossier devant un second CRRMP au titre de l’article R142-17-2, ce qui permettra de compléter puis de soumettre à l’appréciation du Juge les éléments qui n’auront pas été intégrés dans le dossier transmis au premier CRRMP.
