
Entreprises et durabilité
Construire des programmes d’intérêt général « game changer » avec un fonds de dotation
Par Stéphane Couchoux (Fidal) et Christian Davy (The Z Point)
Avec la montée en puissance des effets du réchauffement climatique, les entreprises sont confrontées à la fin de l’abondance en matière de ressources et de matières premières. Les pénuries agricoles, les restrictions sur l’accès à l’eau, la réduction des ressources halieutiques et les tensions sur les minerais sont autant de défis qui nécessitent une réponse collective. Pour maintenir leurs approvisionnements et sauvegarder leur modèle d’affaires, les entreprises doivent ouvrir un dialogue avec l’ensemble des parties prenantes et intégrer l’intérêt général dans leurs stratégies de durabilité.
En collaboration avec les acteurs de la finance, eux-mêmes confrontés à ces enjeux, les entreprises peuvent développer des solutions "game changer"[1] pour inventer et expérimenter des projets innovants et durables, assurant ainsi une gestion équitable et efficace des ressources.
Le fonds de dotation apparaît comme une structure juridique idéale pour porter ces options et inventer de nouveaux modèles d’entreprise.
[1] « game changer » : qui change la donne
Pourquoi les entreprises doivent-elles prendre en considération des préoccupations d’intérêt général
Cette nouvelle approche met en avant les préoccupations d’intérêt général, en soulignant le rôle crucial des entreprises dans la gestion des ressources limitées. Dans un contexte de finitude des ressources, il est essentiel de déterminer comment attribuer des priorités entre différents utilisateurs. Par exemple, qui mérite davantage l'accès aux volumes d'eau : l'exploitant d'un réacteur nucléaire qui doit refroidir ses installations pour éviter une catastrophe, l'agriculteur dont les récoltes sont menacées par le manque d'irrigation, privant ainsi la population de nourriture, ou l'agglomération voisine qui réclame de l'eau potable pour ses habitants ? Tous ces usages sont et vont devenir de plus en plus critiques ; de plus, les arbitrages deviennent d'autant plus complexes que les données scientifiques et objectives d'aide à la décision sont souvent insuffisantes pour justifier des priorités.
La question légitime pourrait se poser de savoir s’il est du ressort des entreprises de prendre l’initiative sur des projets qui débordent leur périmètre d’activité. Est-il en effet du rôle des fabricants ou utilisateurs de verre de s’interroger sur l’extraction du sable dans le monde, des fabricants de cosmétique de promouvoir des ingrédients naturels extraits dans des conditions respectueuses des producteurs, des distributeurs de s’intéresser à la manière dont sont fabriqués les aliments ou les textiles qu’ils mettent en rayon de sorte qu’ils consomment moins d’eau, respectent les producteurs et maintiennent les écosystèmes, des pêcheurs de réensemencer la mer et les océans, des agriculteurs d’organiser la répartition de l’eau sur leur territoire…la liste est infinie. La réponse est affirmative et elle n’est plus optionnelle.
Banques, Assurances : des financeurs clés pour les programmes « game changer »
Vient alors l’inévitable question du financement de ce type de réflexion et d’opération. Les banques et les assureurs se trouvent en première ligne en tant que financeurs potentiels des projets d’intérêt général portés par les entreprises. En effet, plus de 90 % des actifs bancaires français sont exposés au risque carbone, ce qui pousse les banques à chercher des solutions pour réduire cette exposition. De leur côté, les assureurs constatent une hausse des taux de sinistralité dans les secteurs vulnérables aux effets du réchauffement climatique, ce qui les incite à soutenir des initiatives visant à atténuer ces risques.
Pour les banquiers et les assureurs, il est donc crucial d'adopter des stratégies ambitieuses et transformatrices en intervenant sur les secteurs d’activités de leurs clients. Ces stratégies doivent non seulement favoriser la décarbonation de leurs actifs, mais aussi assurer la pérennité des conditions d'assurabilité de leur portefeuille. En finançant des projets d’intérêt général « game changer », les banques et les assureurs peuvent jouer un rôle déterminant dans la prise en compte de l’accès aux ressources fondamentales et plus généralement des grands enjeux de durabilité, tout en protégeant leurs propres intérêts économiques et financiers à long terme.
La mise en relation entre banquiers et assureurs d’une part, et entreprises concernées par la gestion de ces ressources critiques d’autre part, via des projets d’intérêt général « game changer », constitue une innovation importante dans la manière d’aborder la question de l’impact.
C’est dans ce contexte, qu’intervient le fonds de dotation, un outil juridique au service de l’intérêt général, comme solution juridique particulièrement efficace pour bâtir une solution ambitieuse et robuste capable de satisfaire les attentes de tous les acteurs. En particulier, le fonds de dotation devient le lieu de d’expérimentation et un démonstrateur (PoC) de programmes ambitieux entre les financeurs et les entreprises au service de l’intérêt général.
Le fonds de dotation, arme de construction massive
Le fonds de dotation (FDD) est apprécié pour sa simplicité de mise en œuvre, la flexibilité de sa gouvernance et sa capacité à mobiliser d'importants financements privés, soutenus par la réduction d'impôt « Mécénat » (réduction d'IS de 60 ou 40% pour les entreprises). À l'instar de toute « fondation », son objectif est de mener des programmes d'intérêt général (FDD-Opérateur) et/ou de soutenir des acteurs publics ou privés à but non lucratif qui portent ces programmes (FDD-Redistributeur).
Pour en faire un véritable « game changer » à même de traiter des enjeux d’intérêt général critiques, les textes qui gouvernement le FDD permettent d’imaginer de « nouveaux usages » qui seront autant de gisements d'actifs immatériels pour les entreprises. En effet, le FDD, qui est une véritable « pâte à modeler juridique », permet de façonner ces nouveaux usages en exploitant divers leviers offerts par la Loi. Deux exemples :
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D’abord, un objet véritablement « game changer » : le FDD définira la problématique d'intérêt général à traiter. Cf. par exemple, dans le domaine de la pêche, le programme Mare Durabilis (en construction) qui vise à préserver la pêche en Méditerranée. La notion de « game changer » bouleverse la manière d’envisager l’activité sur le fondement de la préservation de l’intérêt général critique (par exemple, garantir la sécurité alimentaire ou la préservation de la ressource en eau bleue et verte)
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Ensuite, un objet amplifié par une stratégie d'investissement à impact : cette stratégie permet au FDD d'investir ses actifs (dons collectés et défiscalisés auprès des financeurs) en particulier dans des entreprises (PME, ETI, etc.) engagées dans la lutte contre le changement climatique. Pour rester dans le secteur maritime Cf. par exemple le Fonds pour la décarbonation de la filière maritime française mis en place par CMA CGM en collaboration avec Bpifrance.
D'autres usages du FDD, véritablement « game changer », nécessiteraient de longs développements : le FDD-actionnaire pour protéger une entreprise française, le FDD acteur de la R&D (détenteur de droits de propriété industrielle), le FDD en soutien exclusif de PME (sur agrément) apportant des solutions disruptives dans notre approche, etc.
Dans les semaines et mois à venir, une nouvelle génération de FDD émergera, lancée par des PME, des ETI ou de grands groupes. Nous aurons certainement l'occasion d'y revenir.
