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Protéger les secrets d'affaires : une nouvelle opportunité de valoriser le patrimoine immatériel de l'entreprise

12 septembre 2018
par Philippe Boutron,
Charles Suire

Le 30 juillet 2018 a été adoptée la loi n° 2018-670 relative à la protection du secret des affaires, faisant suite à la validation du texte par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 26 juillet. Intégrant de nouvelles dispositions dans le livre Ier du Code de commerce, elle constitue l’aboutissement de tentatives antérieures d’élaborer une protection pour les secrets d’affaires. Ainsi par exemple de la proposition de loi visant à sanctionner la violation du secret des affaires, présentée le 22 novembre 2011 sur initiative du député Carayon, ou encore de la proposition de loi relative à la protection du secret des affaires du 16 juillet 2014 qui avait vocation à s’inscrire dans le contexte plus général de la « loi Macron » ; projets tous deux abandonnés.

Le souci d’élaborer un cadre légal spécifique à la protection des secrets d’affaires est né d’un constat suivant lequel de nombreux actifs immatériels des entreprises se trouvent exclus du bénéfice des outils classiques de protection par le droit de la propriété intellectuelle. Or, de tels éléments structurés constituent pourtant un vivier essentiel de valeur pour un opérateur économique, quelle que soit sa taille.

La multiplicité d’actifs immatériels couverts par les éléments éligibles à cette catégorie à part entière du patrimoine incorporel s’étend des informations « non-technologiques » (telles que les informations commerciales stratégiques, les modèles économiques, les plans d’affaires, les analyses de données, les listes de clients, etc.) aux informations relevant de l’innovation et de la technologie, non brevetables ou non brevetées (la recette d’une boisson ou les composés d’un parfum, un procédé de fabrique, ou encore un savoir-faire spécifique).

L’intégration dans le droit français de dispositions propres à la protection des secrets d’affaires était devenue un impératif résultant de l’adoption de la Directive n° 2016/943 du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d'affaires) contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites soumise à l’obligation d’une transposition nationale avant le 9 juin 2018.

Ce corpus nouveau de règles introduit notamment un mécanisme de réparation au profit du détenteur d’un secret d’affaires qui aurait fait l’objet d’un détournement illicite. Tandis que le régime antérieur relevait de la responsabilité civile de droit commun, n’autorisant qu’une indemnisation aléatoire, il est désormais loisible au détenteur légitime de solliciter non seulement une réparation pécuniaire très nettement inspirée des dispositions existantes pour les titres de propriété intellectuelle (sur la base du manque à gagner, du préjudice moral et des bénéfices indus générés par le fautif), mais également de requérir des mesures coercitives (telles que l’interdiction des actes reprochés ou la destruction de produits incorporant le secret), y compris à titre préventif. Le régime nouveau envisage, en outre, la préservation du caractère secret des actifs protégés dans le cadre d’une action judiciaire et de la publication d’une décision, selon des modalités qui seront précisées par un décret d’application attendu prochainement.

Le bénéfice de cette protection ne sera toutefois accordé qu’au détenteur d’un actif répondant aux exigences de la loi. Il convient donc de respecter trois conditions cumulatives. Une information est ainsi protégeable si elle est secrète (non communément accessible à la plupart des milieux intéressés) ; si elle présente une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret (de telle sorte qu’un concurrent serait prêt à verser une somme d’argent pour l’acquérir) ; et si son détenteur légitime déploie des mesures de protection raisonnables de son caractère secret.

Il en résulte que la mise en œuvre de la loi supposera du détenteur des diligences particulièrement rigoureuses, impliquant, au premier chef, un travail d’identification et de structuration de l’information dont il apparaît souhaitable qu’elle soit protégée, et, en second lieu, la mise en place de mesures techniques et contractuelles de protection de cet actif.

Par ailleurs, la protection judiciaire de l’information éligible à la qualification de secret d’affaires sera subordonnée à la démonstration d’un détournement (c’est-à-dire l’obtention, l’utilisation et/ou la divulgation) illicite de la part du défendeur. Telle n’est pas l’hypothèse de l’utilisation dudit secret par un tiers ayant découvert l’information par le fruit de son propre travail ou création, ou encore de l’observation d’un produit ou mécanisme régulièrement mis à sa disposition, soit l’hypothèse du reverse engineering. L’utilisation ne sera pas davantage fautive lorsqu’elle émanera d’un journaliste exerçant dans le cadre de la liberté de la presse, d’un lanceur d’alerte ou encore d’un représentant des salariés ou des salariés eux-mêmes en conformité avec le droit à l’information et à la consultation.

En définitive, la loi adoptée le 30 juillet 2018 constitue une véritable opportunité pour les entreprises de valoriser toute une constellation d’actifs gravitant en dehors des sphères de la propriété intellectuelle, mais cette opportunité va nécessiter l’adoption d’un comportement proactif d’audit et de structuration des informations et éléments stratégiques, qu’il apparaît pertinent de conserver secrets.

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