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Parole d'expert
25 mai 2022

Droit des sociétés : et si le provisoire devenait pérenne ?

Regard sur les récentes propositions du Haut Comité Juridique de la place financière de Paris

 

Le Haut Comité Juridique de la place financière de Paris (H.C.J.P.) dans son rapport du 30 Mars 2022 (Rapport sur l’adaptation de la gouvernance des sociétés en valorisant l’expérience de la crise sanitaire) apporte un regard intéressant et constructif sur les impacts de la crise sanitaire sur la gouvernance des sociétés, au sens large et suggère, après analyse, de pérenniser un certain nombre de mesures d’exception, adoptées par le législateur durant la crise Covid. L’approche en droit comparé, figurant dans le rapport, offre également un panorama des pratiques très instructif.

L’approche retenue, axée sur l’intérêt du changement, le lieu du changement et la portée du changement, est intéressante et invite à porter plus largement un regard réaliste sur la digitalisation actuellement très progressive du droit des sociétés et l’opportunité qui nous est offerte, de rattraper ce retard, avec une finalité de simplification de procédures et exigences, pour certaines archaïques.

Au passage, les préconisations visent également à porter un regard RSE sur le droit des sociétés en limitant le recours à une importante production « print », souvent jetée post assemblée générale, lorsque l’information peut être mise à disposition par un autre biais.

La crise aura permis de revisiter, à l’aune des ordonnances et des mesures d’exception qu’elles contenaient, un certain nombre de dispositions tenant à l’organisation des réunions des organes d’administration et de surveillance et des assemblées générales et de s’apercevoir du caractère désuet de certaines dispositions du code de commerce. Plusieurs articles, adoptés à une époque où la digitalisation en était à ses balbutiements, sont désormais un peu datés dans leur rédaction et en décalage sur le fond et dans leur énoncé, avec l’état de l’art en la matière.

Le droit de vote constituant un attribut essentiel de l’actionnaire, le législateur s’est, à juste titre, longtemps montré suspicieux à l’égard d’une technologie dont il appréhendait mal les contours, notamment lorsqu’il s’agissait d’exprimer un droit de vote en utilisant le recours à des procédés électroniques. L’exigence posée par l’article R 225-61 du code de commerce, du recours à un site internet dédié, en matière de vote électronique, dans les SA dont les statuts le permettent, est, à cet égard, assez parlant sur le décalage entre l’état du droit sur le sujet et les outils technologiques fiables qui existent à date.

Fort heureusement, depuis, le législateur s’est montré plus ouvert et semble avoir davantage intégré le recours à des procédés technologiques dans la vie des sociétés. L’article L 211-3 du code monétaire et financier prévoyant la faculté de recourir à un dispositif d’enregistrement électronique partagé (DEEP) en est une illustration récente.
Si le Covid a eu un effet sur le droit des sociétés, c’est d’en accélérer la digitalisation, en montrant que celle-ci était possible, tout en veillant à le faire dans un cadre juridique clairement défini.

Le Haut Comité Juridique de la place financière de Paris (H.C.J.P.) propose d’en tirer des enseignements en rendant un certain nombre de mesures provisoires pérennes en droit des sociétés.

Si on se limite au champ du non-côté, les propositions formulées sont les suivantes : 

●    Pour les Conseil d’administration et conseil de surveillance des sociétés cotées comme non cotées, permettre le recours à la visioconférence ou la télécommunication, quel que soit l’ordre du jour, y compris pour les décisions concernant les comptes annuels, les comptes consolidés et le rapport de gestion.

●    Pour les sociétés non cotées, modifier la formulation actuelle de l’article L.225-37 du code de commerce dont le troisième alinéa débuterait comme suit : « Sauf disposition contraire des statuts ou du règlement intérieur, (…) »  Cela revient à proposer de renverser le principe existant en faisant de la télétransmission la règle et le non-recours à la télé transmission l’exception.

●    Permettre aux statuts de la SA de donner la possibilité au conseil de prendre toute décision par recours à la consultation écrite, celle-ci pouvant être réalisée par voie électronique. Laisser aux statuts le pouvoir de limiter le champ des décisions susceptibles d’être prises. Confier au président du conseil d’administration ou du conseil de surveillance la responsabilité de décider d’une consultation écrite dès lors que cette modalité n’est pas exclue par les statuts. Permettre à tout administrateur de s’opposer à ce que la consultation soit effectuée par écrit. Dans les seules sociétés non cotées, permettre aux statuts de prévoir un seuil d’opposition plus élevé.

●    Supprimer la possibilité donnée aux actionnaires de demander des documents qui sont déjà sur le site internet de la société.

●    Faire de la convocation électronique aux assemblées générales le principe, avec un droit d’opposition ouvert à chaque actionnaire et maintenu au moins pendant une période de transition.

●    Simplifier les modalités de communication en droit des sociétés en assimilant la voie électronique aux moyens traditionnels de communication. Cette assimilation pourrait faire l’objet d’une norme générale applicable au droit des sociétés dans son ensemble.

●    Dans la SARL, introduire la possibilité pour les statuts d’autoriser le vote par correspondance.

●    Pour les SA et SCA cotées et non cotées, rendre de droit le vote par correspondance électronique, les statuts conservant toutefois la possibilité d’écarter cette modalité de vote.

●    Abroger l’obligation de création d’un site internet exclusivement dédié au vote par des moyens électroniques de télécommunication.

●    Permettre au titulaire d’un mandat de transmettre électroniquement les instructions reçues du mandant, par le biais d’un vote par correspondance ou d’un vote en direct et à distance, sous réserve de la mise en place d’une vérification fiable des mandats.

●    Allonger la « record date » en reportant la date d’inscription en compte du deuxième jour ouvré au cinquième jour ouvré (autrement dit au septième jour calendaire) précédant l’assemblée générale.

●    Supprimer l’exigence de retransmission de la voix des participants à l’assemblée.

●    Limiter la nullité des résolutions en cas de défaillance des systèmes électroniques en :

●    Restreignant le droit d’agir en nullité en exigeant de l’actionnaire demandeur à l’action en nullité qu’il démontre que la résolution adoptée en dépit de la défaillance leur fait grief ;
●    Enfermant le délai d’action dans un délai de trois mois après la tenue de l’assemblée

●    Consacrer le principe d’égalité des droits entre actionnaires participant en présentiel et à distance tout en considérant que les modalités d’exercice de ces droits, et plus particulièrement celui de s’exprimer en cours d’assemblée, pourront varier selon le mode de participation de l’actionnaire, à distance ou en présentiel.

●    Dans les sociétés anonymes non cotées, supprimer le droit d’opposition à l’organisation d’assemblées générales extraordinaires entièrement dématérialisées.

●    Etendre le champ de la consultation écrite dans la SARL à la décision d’approbation des comptes et préciser dans les textes, de façon générale, la faculté de recourir à une consultation digitale lorsque la consultation écrite est admise.

Le rapport, qui propose une mise a niveau du droit des sociétés au regard des outils digitaux fiables existant milite pour le développement des assemblées « hybrides ». Il ne va pas à ce stade jusqu’à envisager les conditions de tenue d’un conseil ou d’une Assemblée générale dans le « méta univers » (métavers), mais cette hypothèse, qui peut paraitre futuriste aujourd’hui, pourrait bien être un sujet sur lequel les juristes corporate auront à réfléchir sous peu de temps.

Gageons que ces propositions puissent trouver un écho favorable du législateur et puissent être reprises prochainement dans la loi, pour adapter, le droit des sociétés à son époque en termes d’outils, sans sacrifier la sécurité juridique à la modernité.