La C.S.R.D. est devenu le nouvel eldorado. Pas un jour, pas un fil de discussion, qui ne fasse état, d’offres d’accompagnement par des cabinets et des consultants sur la C.S.R.D.[1], par de la formation, de l’assistance à la mise en œuvre, des outils de traitement de la donnée, cependant peu d’articles et d’offres abordent la C.S.R.D. sous l’angle juridique.
Pourtant, derrière l’effet nouveauté, la C.S.R.D., au travers de ses trois enjeux de durabilité E.S.G.(environnement/social/Gouvernance), est un territoire éminemment juridique, qui nécessite de bons guides pour pouvoir être traversé en toute sécurité.
Savoir structurer de la donnée est une chose, savoir en mesurer la portée juridique en est une autre :
On l’oublie un peu vite, dans les débats actuels, mais produire, traiter et communiquer de la donnée, non inerte, c’est possiblement engageant pour l’entreprise et le regard du juriste sur la collecte, le traitement, la restitution de la donnée ainsi que sur l’analyse de ses possibles effets, dans le cadre du rapport de durabilité, est loin d’être superflu.
En voici quelques illustrations :
L’instrumentum du rapport de durabilité, point de vigilance
La C.S.R.D. constitue une nouvelle obligation pour les entreprises franchissant les seuils prévus par le législateur. Elle se traduit par l’établissement d’un rapport de durabilité, sur lequel l’œil du juriste est le bienvenu, tant sur la forme que sur le fond.
Sur la forme
Si la C.S.R.D. est avant tout un sujet de données, le législateur européen ne s’est pas contenté d’envisager le contenu du rapport de durabilité, il en a également défini le réceptacle. L’une des finalités de la directive C.S.R.D. étant de rendre comparables les données, le législateur européen a défini un format de reporting unique pour l’établissement du rapport de durabilité, qui ne constitue pas une figure libre, mais bien une figure imposée.
Toutes les entreprises soumises à l’obligation d’établir un rapport de durabilité devront, une fois leur travail de collecte et d’analyse mené, sur la base des E.S.R.S, en rendre compte dans un rapport électronique établi sous un format numérique standardisé dit » XHTML » basé sur la technologie XBRL (eXtensible Business Reporting Language).
L’intérêt de ce langage est de permettre un balisage de la donnée, de nature à faciliter le traitement, la comparabilité, la fiabilité, l’extraction, la transparence et l’utilisation, ensuite.
Au-delà du format et comme c’était déjà le cas pour le rapport de gestion, l’œil du juriste sur le contenu même du rapport de durabilité est un gage de sécurité, afin de vérifier que le rapport produit répond bien strictement aux exigences légales applicables.
Sur le fond
Au-delà de la stricte conformité du contenu du rapport de durabilité, il convient également de s’interroger sur l’usage de cette donnée ;
Produire et rendre public de la donnée n’est jamais totalement neutre et au cas particulier, le législateur a entendu rendre cette donnée publique et comparable.
Produire de la donnée, mais pour qui et à quelles fins ?
Pour trois grandes catégories d’utilisateurs et trois grandes catégories d’usage :
- Pour des investisseurs et gestionnaires d’actifs, afin de leur permettre d’avoir une meilleure visibilité sur les risques et opportunités que présente la question de la durabilité pour leurs investissements et l’incidence de ces investissements sur la population et l’environnement ; Ils vont traiter la donnée disponible et l’utiliser. A titre d’exemple, en M&A, négocier une garantie d’actif et de passif dans le cadre d’un deal, lorsque l’on dispose du rapport de durabilité de la cible et de son « gap analysis », pourrait s’avérer un peu différent demain de ce que nous connaissons aujourd’hui et possiblement influer sur les négociations.
- Pour des acteurs de la société civile, qui souhaitent que les entreprises rendent mieux compte de leurs incidences sur la population et l’environnement ; On peut penser notamment aux ONG et à divers autres parties prenantes y ayant intérêt. Le volet « droit de la concurrence » ne doit pas non plus être omis de l’analyse.
- Pour l’entreprise, elle-même, pour laquelle, cela doit être à l’avenir, dans l’esprit du législateur européen:
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Un gage de l’amélioration de l’accès aux financements
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Une opportunité de recenser et gérer ses propres risques
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Une occasion d’améliorer le dialogue entre l’entreprise et ses parties prenantes
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Une base de départ pour définir leur trajectoire d’amélioration.
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A cet égard, le volet « gouvernance » stricto sensu, qui constitue l’un des blocs importants prévu par les E.S.R.S est un sujet, lui aussi, éminemment juridique. De même la communication de certaines informations dans le cadre du rapport de durabilité pourrait modifier les relations avec certaines parties prenantes internes et/ou externes. Cela s’anticipe.
L’entreprise pourrait donc avoir intérêt, avant de mettre en ligne son rapport de durabilité, à le faire relire et auditer par un juriste, afin de mesurer, au-delà de la stricte conformité aux exigences de la C.S.R.D., les possibles impacts futurs pour elle, de la communication de certaines informations.
L’intention du législateur et son souhait de transparence et de comparabilité de la donnée sont louables et partent d’une bonne intention. Mais, on ne peut s’arrêter à l’écume des choses.
Derrière la mise à disposition d’une telle donnée, (triée, qualifiée, structurée) peut possiblement poindre un sujet de compétitivité et de souveraineté pour les entreprises européennes soumises à la C.S.R.D.
Apprenons de l’histoire. En France, la loi pour une république numérique, qui a ouvert la donnée publique à l’Open Data, a permis une aspiration massive et un traitement de la donnée par des compétiteurs étrangers, dans le but d’en tirer un avantage. Les grandes entreprises appelées à produire de la donnée dans le cadre de la C.S.R.D. doivent garder à l’esprit que des compétiteurs hors CE non astreints aux mêmes obligations de reporting peuvent être intéressés par la donnée produite.
Il est évidemment encore trop tôt à date, mais on peut raisonnablement penser, qu’à moyen terme, la publication d’informations au titre de la C.S.R.D., et le non-respect de certaines trajectoires, puissent venir nourrir un certain nombre d’actions en justice et de contentieux.
Au-delà de la mission du consultant et de l’OTI, l’œil du juriste n’est jamais inutile. Dans ce domaine, comme dans de nombreux autres, mieux vaut prévenir que guérir.
Les juristes ont, à cet égard, un rôle important à jouer dans la phase préparatoire et dans la phase de mise en œuvre de la C.S.R.D. au sein des grandes entreprises. Pensez-y !
[1] Corporate Sustainability Reporting Directive