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La date d’un pacte d’associés sous seing privé peut être prouvée par tous moyens entre les parties

30 mai 2024

Par acte sous seing privé dépourvu de date, les associés d’une SARL avaient conclu un pacte stipulant une clause de non-concurrence à l'égard de cette société, à compter de la date de signature du pacte. L’un des signataires avait perdu la qualité d’associé. 
Invoquant une violation par ce dernier de son obligation de non-concurrence, la SARL l’assigna en responsabilité, mais fut déboutée par la cour d’appel de Colmar (CA Colmar, 1re ch. civ., sect. A, 30 nov. 2022), aux motifs que l’absence de date vide de sa substance l’obligation qui est opposée à l’associé, dès lors qu’un acte sous seing privé n'a pas date certaine, sauf s'il est enregistré, et que la date de l'acte ne peut pas être déduite du contexte dans lequel il a été établi. L'arrêt en déduisit que la société Gold conseil ne peut pas se prévaloir à l'égard de M. [J] de la clause de non-concurrence figurant dans le pacte d'associé. 
La Cour de cassation censure cette décision pour violation de l’article 1328 (devenu 1377) du Code civil : « Il résulte de ce texte que si un acte sous seing privé n’a de date contre les tiers que du jour où il a été enregistré, du jour de la mort de celui ou de l'un de ceux qui l'ont souscrit, ou du jour où sa substance est constatée dans un acte dressé par un officier public, en revanche, entre les parties à un acte [sous seing privé] non daté dont l'existence n'est pas contestée, la preuve de sa date peut être faite par tout moyen ». 

A NOTER : 

L’article 1328 du Code civil a été intégralement repris à l’article 1377 du même Code à compter du 1er octobre 2016 : « L’acte sous signature privée n’acquiert date certaine à l’égard des tiers que du jour où il a été enregistré, du jour de la mort d’un signataire ou du jour où sa substance est constatée dans un acte authentique ». La liste des cas conférant à l’acte sous seing privé date certaine à l’égard des tiers (enregistrement, décès d’un signataire ou constatation dans un acte authentique) est limitative (v. not. Cass. 1re civ., 4 févr. 1986, no 84-03.038, P) ce qui hors, ces hypothèses, a pour conséquence très concrète de rendre la date  et donc l’acte lui-même inopposables aux tiers.

Il n’aura pas échappé au lecteur que l’article 1328 (désormais 1377) vise expressément « les tiers » (auxquels il faut assimiler selon nous les simples participants signataires à l’acte). C’est donc logiquement que la Cour de cassation, ayant l’occasion de trancher la question pour la première fois[2]  depuis 1804 (les dispositions litigieuses figuraient dans des termes quasi-identiques dès l’origine dans le Code civil), refuse de les appliquer aux parties. L’idée sous-jacente est que les tiers doivent bénéficier d’une protection radicale contre tout risque d’antidatation (voire de post-datation ) par les parties , tandis que les parties doivent évidemment assumer la portée de l’acte dont elles ont fixé le contenu d’un commun accord.      

En l’espèce, l’originalité de l’acte litigieux était qu’il n’était pas daté. Cette omission, faut-il le rappeler, n’affecte pas la validité de l’acte sous signature privée . Il reste alors aux parties à établir cette date et donc à la prouver. La décision commentée pose que cette « preuve de [l]a date peut être faite par tout moyen ». L’affirmation résulte nous semble-t-il de ce que la date d’un acte n’est pas l’acte juridique lui-même, dont la preuve doit être préconstituée (C. civ. ex-art. 1341, devenu 1359), mais un fait juridique pouvant être prouvé par tout moyen et notamment par des présomptions de fait, conformément aux articles 1358, 1359 et 1382 nouveaux du Code civil. On peut supposer, dans notre affaire, que la preuve pourra être établie que le pacte d’associé a été signé avant et non après le départ de l’associé (l’inverse étant une hypothèse absurde), de sorte que la violation de l’obligation de non concurrence devrait être caractérisée.

Cass. com., 20 mars 2024, n°23-11.844, F-B, Sté Gold Conseil c./X

[1] Cass. soc., 21 déc. 1965, n°64-12.262, P, affirmant que l’article 1328 du Code  civil « a pour effet, non de retarder l’existence et la validité d’un acte juridique jusqu’à son enregistrement, mais seulement de ne rendre sa date opposable aux tiers qu’à compter de l’accomplissement de cette formalité ».    
[2]Tout au plus la Cour de cassation avait-elle eu l’occasion jusqu’alors de préciser que l’article 1328 du Code civil n’était  «  pas applicable en matière commerciale » (v. not. Cass. com., 4 mai 1999, no 97-12.085), la preuve étant alors libre.
 

 

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