Transformation avant cession : la fiscalité doit s’aligner sur le juridique !
auteurs
Marina Rodrigues Avocate Associée
Joseph Fabie Juriste
Actualité
19 février 2025

Transformation avant cession : la fiscalité doit s’aligner sur le juridique !

L’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 18 décembre 2024[1] rassure quant à la fiscalité applicable en matière d’enregistrement des cessions de titres de société dans le contexte d’un changement de forme sociale. 

La Chambre commerciale financière et économique de la Cour suprême est venue casser l’arrêt de la Cour d’appel de Lyon du 6 juillet 2023[2] qui avait retenu une analyse fiscale particulièrement restrictive et discutable de la chronologie d’une opération de transformation de société suivie d’une cession des titres de cette dernière. « D’abord la transformation et sa publicité, toujours, puis la cession et sa publicité, toujours ! » ; voilà en synthèse le principe consacré par la Cour d’appel de Lyon le 6 juillet 2023 qui avait fait frémir les praticiens. Principe désormais obsolète puisque la Cour de cassation infirme cette décision et pose un nouveau cadre, plus conforme à la réalité juridique des opérations : en matière de droits d’enregistrement, la transformation avant cession est opposable à l’Administration avant même sa publication, il convient de s’en tenir à la nature juridique des titres au jour du transfert. 

De manière plus précise, cette décision du 18 décembre 2024 se rapporte à la détermination du régime des droits d’enregistrement applicable aux cessions de droits sociaux, dans le contexte d’un changement de forme sociale opéré peu de temps avant la cession de titres de la structure concernée.

Les faits de l’espèce étaient les suivants : le 24 juillet 2012 la société TDA International, initialement constituée sous forme de SARL, décidait en Assemblée Générale Extraordinaire (« AGE ») sa transformation en société par actions simplifiée, avec effet immédiat. Le lendemain, un contrat de cession portant sur l’intégralité des titres de la société au profit de la société CEGID était conclu et la cession correspondante était retranscrite dans le Registre des mouvements de titres nouvellement ouvert après la transformation. La déclaration de cession des droits sociaux correspondante fut ensuite déposée au SIE en date du 3 août 2012 entrainant le paiement, par l’acquéreur, de droits d’enregistrement d’un montant de 37.303 euros. Le procès-verbal de l’AGE ayant décidé la transformation était quant à lui enregistré au SIE le 7 août 2012. Par la suite, ce même procès-verbal faisait l’objet d’une publication dans un journal d’annonces légales le 1er septembre 2012 puis fut déposé au greffe en vue des formalités modificatives le 25 septembre 2012. Sa publication au BODACC intervint le 25 octobre de la même année.

L’Administration fiscale adressa alors en décembre 2015 une proposition de rectification à la société acquéreuse, considérant que la transformation en SAS ne lui était pas opposable à la date de cession faute de publicité antérieure. Selon l’Administration, la cession des titres devait en conséquence être soumise aux droits d’enregistrement applicables aux cessions de parts de SARL et non à ceux applicables en matière de SAS. Rappelons que le régime fiscal applicable aux cessions de parts de SARL était et demeure moins favorable que celui applicable aux cessions d’actions. L’Administration demandait donc le paiement de droits supplémentaires à hauteur de 75.455 euros et d’intérêts de retard pour 10.564 euros. 

La société CEGID assigna alors l’Administration devant le Tribunal judiciaire de Lyon. Si la juridiction de première instance fit droit à sa demande, cela ne fut pas le cas de la Cour d’appel de Lyon, saisie par le Directeur général des finances publiques. Dans son arrêt du 6 juillet 2023 précité, la Cour d’appel donna raison à l’Administration fiscale et contraignit les praticiens à la plus grande vigilance dans des situations similaires. La Cour d’appel ayant relevé que l’inscription au registre des mouvements de titres des actions d’une société transformée en SAS suivie de leur cession d’actions ne rendait pas pour autant opposable la transformation à l’administration, à défaut de publication légale préalable à la cession : « l’Administration était dans l’impossibilité d’avoir connaissance de la transformation de la société T avant, au plus tôt, la publication du procès-verbal de délibération de l’assemblée générale extraordinaire de transformation qui n’a été enregistré auprès du SIE que le 07 août 2012 ». Le régime fiscal de la cession de parts sociales devait donc être retenu dans une telle hypothèse.

Contestant à son tour la décision des juges, la société acquéreuse se pourvut alors en cassation. Dans l’arrêt précité (publié au Bulletin, ce qui souligne la portée de principe que la Cour entend conférer à sa décision), ), la Cour Suprême se range du côté des juges de première instance et donne droit aux prétentions de la société CEGID en se fondant sur les de l’article 726 I, 1° du Code général des impôts en formulant un considérant de principe : « les droits d’enregistrement applicables à une cession de droits sociaux sont liquidés selon la nature juridique de ces droits déterminés à la date du fait générateur des droits d’enregistrement, lequel correspond à la date du transfert de propriété peu important qu'à la date de la soumission de l'acte de cession à la formalité de l'enregistrement, la transformation dont la société a fait l'objet antérieurement n'ait pas été publiée au registre du commerce et des sociétés ». 

Cette position de la haute cour est particulièrement rassurante pour les praticiens. En effet, la transformation d’une SARL en société par actions préalablement à une cession de droits sociaux est une opération courante dans la pratique du M&A. Par un arrêt très ancien, repris par l’administration fiscale dans sa base BOFiP, la Cour de cassation avait précisé que dans une telle situation la cession devait être considérée comme portant sur des actions et non sur des parts sociales, et qu’une telle transformation avant cession ne pouvait pas être remise en cause par l’administration fiscale sur le fondement de l’abus de droit sauf en cas de nouvelle transformation de la SA en SARL postérieurement à la cession[3]. La licéité de cette opération est claire et rappelée depuis plusieurs années (Cass. Com. 9 février 1999, n°97-10.907). La problématique soulevée par l’Administration fiscale dans l’affaire en cause n’était pas liée à la licéité de l’opération de transformation en elle-même mais plutôt à la détermination de sa date d’opposabilité à l’administration fiscale.

La décision de la Cour d’appel de Lyon du 6 juillet 2023 inquiétait les praticiens en ce qu’elle instaurait une contrainte temporelle superfétatoire dans une opération de cession/acquisition de titres, en ajoutant des étapes non expressément prévues par la réglementation fiscale en vigueur, en particulier celui de la publication préalable de la transformation. Cette obligation de publication rajoutait notamment une incertitude quant à la date effective de réalisation de la cession : comment la fixer et établir un calendrier quand celle-ci serait subordonnée à une publicité que les acteurs de l’opération ne maitrisent pas, en particulier dans les circonstances présentes caractérisées par des délais de traitement imprévisibles et allongés. 

Les fondations de la position de la Cour d’appel de Lyon furent vivement critiquée par la doctrine et la pratique sous plusieurs angles. En premier lieu, l’article L.123-9 du Code de commerce en son alinéa 1er précise que les tiers et administrations qui ont personnellement connaissance de faits et d’actes non publiés ne peuvent se prévaloir de l’absence de publication. 

Également, la décision du 6 juillet 2023 va à l’encontre des dispositions d’un article bien connu des formalistes : l’article R.123-66 du Code du commerce, lequel édicte un délai d’un mois pour réaliser les formalités de publicité d’un acte portant modification des statuts d’une société.

Tant que ce délai est respecté, la transformation publiée postérieurement à l’enregistrement de la cession ne devrait-elle pas malgré tout être opposable à l’administration, sans ajouter une condition de chronologie entre les différentes formalités d’enregistrement et de publications, ce que la loi n’a nullement prévu ? 

Comme nous l’indiquions en préambule, la Cour de cassation a quant à elle décidé de fonder sa décision sur les dispositions de l’article 726 I, 1° du Code général des impôts (dans sa version applicable à la date du litige mais le raisonnement demeure selon nous transposable à la rédaction en vigueur à la date des présentes) précisant que c’est la situation juridique au jour du fait générateur de l’impôt qui doit être prise en compte pour la détermination du régime applicable en matière de droits d’enregistrement. 

La décision parait logique et rassurante. Le déroulement des opérations de transformation suivies d’une cession d’actions sera fluidifié, les dates de closing maitrisées et la fiscalité de l’opération pourra être anticipée et calculée en amont, sans crainte de rectification ultérieure par l’Administration fiscale, étant bien entendu précisé que l’obligation de publicité de la décision transformation n’est, en elle-même, absolument pas remise en cause par ledit arrêt. 

Les précautions et recommandations habituelles demeurent inchangées :

  • La société ne doit pas à nouveau être transformée en SARL après la cession. A défaut, l’opération devrait être considérée comme motivée par un but exclusivement fiscal(alléger les droits d’enregistrement dus à l’occasion de la cession) et donc contestable sur le fondement de l’abus de droit (article L 64 du Livre des procédures fiscales).
  • Les intérêts autres que fiscaux de la transformation ne doivent pas être négligeables au regard de son intérêt fiscal, afin d’éviter un risque de contestation sur le fondement du «mini abus de droit » (caractérisé par un but principalement fiscal – article L 64 A du Livre des procédures fiscales).
  • La transformation doit juridiquement être réalisée avant la cession et toutes les conséquences qui en découlent doivent être respectées (ouverture d’un registre des mouvements de titres, rédaction appropriée de l’acte de cession …).

Désormais, quand bien même les publications légales n’aient pas encore été réalisées, la date de la transformation d’une société en société par actions survenant antérieurement à la cession de ses titres est opposable à l’Administration pour déterminer le régime fiscal applicable à ladite cession en matière de droits d’enregistrement : la nature des droits cédés doit être appréciée au jour du transfert de propriété. En un mot, la fiscalité doit (pour unefois serait-on tenté de dire si l’on fait preuve de mauvais esprit) s’aligner sur le juridique !

[1] Cass.com. 18.12.2024, n°23-21.435

[2] CA Lyon, 1ère ch. civile, 6.07.2023, n°20/05110  

[1] Cass. com., 10 décembre 1996, n°94-20.070 et BOI-ENR-DMTOM-40-10-10, 24 avril 2024, n°70