Suite aux différents arrêtés qui ont été adoptés depuis le 14 mars dernier afin de lutter contre la propagation du virus covid-19, l’activité des différents commerces est de plus en plus compliquée, pour ne pas dire inexistante. Dans ce contexte si particulier, beaucoup de preneurs exigent la suspension et même l’annulation de leurs loyers, confortés par la déclaration en ce sens du Président de la République, dans son allocution du 16 mars 2020.
Certes, la loi n° 2020-290 dite d’urgence du 23 mars 2020 habilite le Gouvernement à prendre, par ordonnance, des mesures contraignantes de report ou d’étalement des loyers (et des factures d’énergie), mais sans annulation, et surtout seulement pour les plus petites entreprises (moins de 10 salariés et moins de 2 millions de chiffre d’affaires).
Pour toutes les entreprises locataires, il est dès lors tentant de rechercher si les mécanismes usuels du droit des obligations peuvent être utilisés pour faire l’économie de loyers voire de charges, au moins pendant la période de confinement, à commencer par la force majeure invoquée par les pouvoirs publics eux-mêmes pour leurs marchés.
C’est oublier un peu rapidement que la Cour de cassation rappelle fermement que « le débiteur d’une somme d’argent ne peut s’exonérer de payer en invoquant la force majeure » (Com. 16/09/2014, n°13-20306). Démontrer, comme l’exige la jurisprudence, qu’il existe un lien de causalité direct entre l’épidémie et l’incapacité totale de payer son loyer est une preuve quasi-impossible ici à rapporter. Même la fermeture n’est pas un empêchement absolu de payer ses loyers puisqu’il peut toujours y avoir des solutions alternatives pour trouver de l’argent, comme la vente par Internet, le financement bancaire ou les mesures d’aide récemment adoptées.
L’imprévision, elle, ne peut être invoquée que pour les rares baux qui ne l’ont pas exclue et qui ont été signés après le 1er octobre 2016, date d’entrée en vigueur de la réforme des contrats. Ensuite, quand elle est applicable, elle suppose notamment de faire la démonstration préalable que les loyers sont très « excessifs » pour l’exploitation et nul ne sait comment les juges vont apprécier cet « excès ». Enfin, sans accord du bailleur, le preneur, dit l’article 1195 du code civil, reste tenu de payer ponctuellement, sans report, jusqu’à ce qu’un éventuel juge tranche… et nous voilà donc revenus au point de départ.
Enfin, au moins pour les établissements fermés qui ne peuvent donc avoir de contrepartie à leurs loyers, il pourrait être envisagé d’invoquer l’exception d’inexécution de l’article 1219 du code civil, ou même l’exception d’inexécution dite « préventive » de l’article 1120 du même code. Mais, le bailleur ne pourrait-il pas alors invoquer la force majeure du fait de ces arrêtés de fermeture pour justifier qu’il n’est pas en mesure de satisfaire à ses obligations de délivrance et de jouissance paisible ?
On constate ainsi qu’il n’y a aucune solution à tout le moins certaine et qu’imposer dès lors à son bailleur une suspension de son loyer ne manquera pas d’entrainer un contentieux dont l’issue peut être la perte de son bail. C’est pourquoi il est hautement préférable de se rapprocher amiablement de son bailleur, en s’inspirant notamment de l’accord conclu le 20 mars 2020 entre le Gouvernement et les organisations de bailleurs (CNCC, UNPI, FSIF, AFG, ASPIM) qui prévoit la mensualisation, suspend l’exigibilité des loyers et des charges à compter du 1er avril et surtout recommande à ses membres la plus haute bienveillance et solidarité. Ainsi, la Compagnie de Phalsbourg et le groupe Duval, bien connus dans les centres commerciaux annulent les loyers et la plupart des charges pendant tout le confinement.