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02 janvier 2019

Concurrence - Distribution : Lettre d'information Octobre/Novembre 2018

La nature de l’action en responsabilité pour rupture brutale de relations commerciales établies (art. L. 442-6, I, 5° C. com.) toujours en question

Cour de cassation, chambre commerciale, 24 octobre 2018, pourvoi n° 17-25672, publié au bulletin

Cour d’appel de Paris, 25 octobre 2018, RG n° 16/08509
Cour d’appel de Paris, 25 octobre 2018, RG n° 17/17548

Ainsi qu’en témoigne l’actualité jurisprudentielle, la grande majorité du contentieux en matière de pratiques restrictives de concurrence demeure concentrée sur la rupture brutale de relations commerciales établies.

Et pourtant, la nature même de l’action reste sujette à controverse !

Une décision de la Cour de cassation rendue le 24 octobre 2018 ainsi que deux arrêts rendus par la Cour d’appel de Paris le 25 octobre 2018 contribuent à alimenter les discussions.

C’est ainsi que par une décision publiée au bulletin, la Cour de cassation décide que le principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle « interdit seulement au créancier d’une obligation contractuelle de se prévaloir, contre le débiteur de cette obligation, des règles de la responsabilité délictuelle » et « n’interdit pas la présentation d’une demande distincte fondée sur l’article L. 442-6, I, 5° C. com., qui tend à la réparation d’un préjudice résultant non pas d’un manquement contractuel mais de la rupture brutale d’une relation commerciale établie ». Dans l’affaire en cause, elle censure en conséquence les juges du fond pour avoir rejeté une demande indemnitaire fondée sur l’article L. 442-6, I, 5° C. com. formulée par une société qui reprochait également à son partenaire d’avoir manqué à son engagement contractuel en refusant, en l’occurrence, de lui fournir une prestation pour laquelle elle avait versé un acompte.

La Cour de cassation confirme ainsi la nature délictuelle de l’action fondée sur l’article L. 442-6, I., 5° C. com. et la possibilité de formuler des demandes distinctes afin d’obtenir réparation de préjudices distincts résultant :

  • pour l’un de la rupture brutale de la relation commerciale établie
  • et pour l’autre d’un manquement contractuel (Cass. com. 24 oct. 2018, n° 17-25672).

A contrario lorsque les demandes, quoique distinctes, tendent à l’indemnisation d’un même préjudice correspondant à la brutalité de la rupture de la relation, le demandeur ne saurait être indemnisé sur les deux fondements.

Tel était précisément le cas dans une autre affaire ayant donné lieu à une décision de la Cour d’appel de Paris le 25 octobre 2018. En l’espèce, deux sociétés avait conclu un accord d’exclusivité réciproque en 2005 qui avait été rompu en 2010. Aux termes d’une décision devenue définitive, la victime de la rupture avait obtenu, sur le fondement contractuel, réparation du préjudice résultant de son caractère abusif. L’auteur de la rupture avait été condamné à lui payer, outre des commissions jusqu’au terme prévisible du contrat résilié sept mois avant son échéance, des dommages intérêts correspondant à un préavis de six mois destinés à réparer la brutalité de la rupture. La Cour d’appel de Paris, saisie sur renvoi après cassation, décide en application du principe de non-cumul des responsabilités, que la société victime ne pouvait plus se fonder sur les dispositions de l’article L. 442-6, I, 5° C. com. et engager ainsi la responsabilité délictuelle de son partenaire commercial, dès lors qu’elle avait déjà obtenu – sur le fondement contractuel – la réparation de son préjudice lié à la rupture abusive du contrat (CA Paris, 25 octobre 2018, RG n° 16/08509).

Le raisonnement suivi par les juridictions pour déterminer la nature délictuelle ou contractuelle de l’action fondée sur l’article L. 442-6, 6, I. 5° C. com. est différent lorsque la relation commerciale s’inscrit dans un contexte international et qu’il s’agit de déterminer la juridiction compétente pour trancher le litige.

Pour mémoire, la Cour de justice de l’Union européenne, dans une décision du 14 juillet 2016 (CJUE, 14 juillet 2016, aff. C-196/15, Granarolo SpA) opposant un fournisseur italien à son revendeur français qui distribuait ses produits en France depuis environ 25 ans sans formalisation écrite d’un contrat-cadre, s’était prononcée en faveur de la nature contractuelle de l’action indemnitaire du distributeur fondée sur la rupture brutale de relations commerciales établies. La Cour de justice avait en effet considéré que dès lors qu’il existait une relation contractuelle même tacite, l’action en rupture brutale ne relevait pas de la matière délictuelle ou quasi-délictuelle au sens de l’article 5, point 3 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (« Bruxelles I »).

Dans la droite ligne de cette jurisprudence européenne, la Cour d’appel de Paris considère à son tour, à propos d’une action fondée sur l’article L. 442-6, I., 5° C. com. par une société française à l’encontre d’un fournisseur belge qu’une telle « action indemnitaire […] relève de la matière contractuelle au sens du règlement 1215/2012 » (« Bruxelles I bis »). Elle retient en conséquence la compétence du tribunal de commerce de Paris, au motif – le lieu de livraison des marchandises constituant l’un des critères de rattachement prévu à l’article 7 1) b) du règlement susmentionné – que les machines étaient majoritairement livrées en France (CA Paris, 25 octobre 2018, RG n° 17/17548).

Les entreprises demeureront donc attentives à l’évolution de la jurisprudence sur la nature de l’action en rupture brutale de relations commerciales établies qui peut être lourde d’enjeux en termes non seulement, de détermination de la juridiction compétente pour trancher le litige (rappelons, à cet égard, que le contentieux de l’article L. 442-6 C. com. est en droit interne réservé à des juridictions spécialisées), mais également, de détermination du fondement des demandes en réparation.

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