Brève histoire de la C.S.R.D. et perspectives
auteurs
Laurent Drillet Avocat Directeur Associé
Actualité
24 février 2025

Brève histoire de la C.S.R.D. et perspectives

Episode 1 : La Genèse.

« La responsabilité demande du courage parce qu’elle nous place à la pointe extrême de la décision agissante(1) » c’est par cette citation, reprise en préambule, qu’étaient introduites les conclusions du rapport Brovelli, Molinier, Drago en 2013.


Ce rapport, un peu oublié depuis, contenait 20 propositions pour faire de la responsabilité globale un levier de performance durable et se voulait résolument empreint d’un double esprit « d’idéalisme constructif et de réalisme ambitieux ». Il identifiait clairement quatre défi clefs : 

  • crédibilité des démarches RSE engagées,
  • échelle d’analyse et de niveau de mise en œuvre des politiques RSE,
  • accélération du rythme de changement
  • mobilisation ambitieuse des parties prenantes, le tout au service d’une culture de performance globale, tant au sein des entreprises privées, que des organismes publics. 


Préconisant que la politique extra financière soit entièrement incorporée aux stratégies et modèles d’affaires et assorties d’un engagement des dirigeants et des managers, le rapport préconisait également une mesure fiable et pertinente de la performance globale des entreprises, un dialogue avec les parties prenantes et une logique de long terme, en conduisant à s’interroger sur les chaines de valeurs ;bref, il contenait en germe, dès 2013, les bases de l’actuelle C.S.R.D. Il soutenait l’initiative européenne d’alors, à savoir le projet de directive sur la publication d’informations extra financières. 


La lecture rétrospective de ce rapport est particulièrement éclairante sur les ambitions qui étaient alors portées sur le concept de « responsabilité globale » des entreprises, invitant à « dépasser une simple logique de conformité » et à décliner ce concept de manière pragmatique et opérationnelle. Tout était dit.


Dans sa communication du 11 décembre 2019 intitulée « le Green Deal européen » la commission européenne établissait un programme visant à transformer l’union en une union moderne, économe en ressources et une économie compétitive sans émission nette de gaz à effet de serre en 2050 ;


En décembre 2022, la directive CSRD(2) a vu le jour et a été transcrite 2023,en droit français(3). L’arsenal juridique C.S.R.D. était en place et opérationnel.


Aujourd’hui plébiscitée par certains, décriée par d’autres, la C.S.R.D. est sous les feux de la rampe et de la critique.


Un contexte géopolitique nouveau, la récente publication des rapports Draghi(4) et Letta(5) en a fait un objet de discorde. 


Pour ceux qui n’aurait pas suivi les derniers développements sur le dossier de la C.S.R.D., voici un point d’étape pour éclairer le sujet et tenter de faire comprendre les enjeux.


Pour nourrir la réflexion, il faut revenir aux objectifs du texte, qui étaient de :

  • Favoriser une transition au plan européen vers une économie durable et moderne (Pacte vert pour l’Europe), efficace dans l’utilisation des ressources et compétitive, qui soit caractérisée par l’absence de gaz à effet de serre d’ici 2050,
  • Combler un écart entre le besoin d’information et l’information disponible,
  • Corriger une inefficacité du reporting extra financier, tel qu’il était pratiqué
  • Renforcer la donnée « extra financière », par un cadre solide et abordable pour la rendre probante, comparable et fondée sur des facteurs uniformes entre entreprises et entre pays de l’Union, par un cadre légal harmonisé.

Fondamentalement, le texte se voulait être un levier de transformation important, devant conduire les entreprises à s’interroger profondément sur leur modèle économique et ses limites, dans une vision de long terme. L’idée sous-jacente était de pouvoir analyser la résistance du modèle à horizon 2050, dans une perspective de réchauffement de la planète (+3°minimum), à l’effet de retenir un scenario d’anticipation probant.

Si on voulait résumer l’esprit de la directive, on pourrait dire qu’elle répondait à trois exigences fondamentales : Cartographie, mesure et trajectoire.

Cartographie afin de définir une situation de départ, une forme de photographie sur ce qu’est l’entreprise, son environnement, ses parties prenantes. Cette cartographie vise notamment à identifier les externalités négatives, les zones de risques et la façon dont l’entreprise pourrait s’améliorer sur tout ou partie de ces sujets.


Mesure car il faut pouvoir définir des critères objectifs de mesure de la performance durable, dans une perspective de comparabilité réelle entre les entreprises, sur la base d’un référentiel commun et en évitant le greenwashing.


Et enfin trajectoire, car l’entreprise soumise à la C.S.R.D. doit inscrire sa démarche sur une trajectoire d’amélioration, au regard des objectifs qu’elle aura définis. Cela participe de la sincérité de la démarche.


Prévu pour s’appliquer progressivement dans le temps aux grandes entreprises en fonction de seuils, la directive C.S.R.D. visait à laisser du temps aux entreprises, ne disposant pas toutes, en fonction de leur taille, des mêmes moyens, pour s’organiser.

L’instrumentum du rapport de durabilité attendu n’est que la résultante d’une démarche interne exigeante et collective, impliquant toutes les strates de l’entreprises et ses parties prenantes.

Il vise à permettre de mieux tracer l’ensemble de la chaîne de valeur de l’entreprise et possiblement les risques associés.

Il est basé sur un principe dit de « double matérialité », qui constitue une spécificité européenne, en vertu duquel, les entreprises concernées doivent avoir un double regard et :


Rendre compte à la fois (i) de l’incidence de leurs activités sur la population et l’environnement et (ii) sur la manière dont les questions de durabilité influent sur l’entreprise.


On parle de « double importance relative » conduisant à envisager l’importance relative de deux points de vue : celui des risques pour l’entreprise et celui des incidences pour l’entreprise.


Le distinguo habituel entre informations « financières » et informations « extra financières » se trouve dès lors dépassé et remplacé par une approche globale, intégrant ces deux aspects, pour apprécier la performance globale de l’entreprise. Ceci explique le choix du nouveau vocable « d’informations en matière de durabilité ». Cela traduit une volonté claire de ne plus prioriser l’une par rapport à l’autre, en termes d’importance d’informations.


Le rapport doit contenir des informations détaillées sur les risques, opportunités et impacts matériels en lien avec les questions sociales, environnementales et de gouvernance, suivant le principe de double matérialité présenté, ci-avant.


Les informations à publier répondent à un cahier des charges strict et doivent être : De nature prospective et rétrospective, qualitatives et quantitatives, tenir compte d’horizons temporels à court / moyen / long terme, porter sur l’ensemble de la chaîne de valeur de l’entreprise, en menant une procédure de diligence raisonnable, laisser la possibilité de contextualiser, en précisant toute information géographique ou donnée contextuelle, pour permettre au lecteur de comprendre les principales incidences sur les questions de durabilité et les principaux risques auxquels l’entreprise est exposée en matière de durabilité, harmonisées et comparables, fondées (le cas échéant sur des indicateurs uniformes, tout en permettant la publication d’informations spécifiques), sans toutefois mettre en péril la position commerciale de l’entreprise (protection des secrets d’affaires) et enfin, être proportionnées et n’imposant pas une charge administrative inutile aux entreprises tenues de les appliquer.
Les organes d’administration et de surveillance doivent veiller à la qualité de l’information produite qui doit être pertinente, sincère, équilibrée, en prenant en compte les impacts négatifs et positifs de l’activité à court, moyen et long terme, et s’assurer de l’organisation et de la qualité des travaux en matière de déclaration de durabilité. La démarche se veut collective.


On peut légitimement comprendre que le cahier des charges a pu rebuter nombre de grandes entreprises concernées, même si, parfois, l’exercice a peut-être été abordé de manière trop littérale, suscitant alors parfois de vives critiques sur sa lourdeur de mise en œuvre.


…rendez-vous dès demain pour notre 2e épisode : Le séisme Omnibus ou Terminus ?

 

 

(1) Wladimir Jankelevitch
(2) Directive UE n°2022/2464 du 14 décembre 2022 dite « C.S.R.D » (Corporate Sustainability Reporting Directive)
(3) décret n° 2023-1394 du 30 décembre 2023 pris en application de l'ordonnance n° 2023-1142 du 6 décembre 2023
(4) Rapport Draghi du 9 septembre 2024 ;
(5) Rapport “beaucoup plus qu’un marché » dit rapport Letta du 17 avril 2024