SAS et clause de nullité  – BJS, juillet-août 2025
auteurs
Pierre Louis Perin Avocat Directeur Associé
Actualité
25 septembre 2025

SAS et clause de nullité – BJS, juillet-août 2025

L’ordonnance n° 2025-229 du 12 mars 2025 réforme en profondeur le régime des nullités des décisions sociales, avec un impact majeur sur les sociétés par actions simplifiées (SAS), forme juridique la plus répandue en France. Le texte supprime l’ancien article L. 227-9, alinéa 4 du Code de commerce, qui permettait d’annuler une décision sociale pour violation des statuts, et introduit un nouveau mécanisme : la possibilité d’insérer dans les statuts une clause de nullité.

1. Une rupture avec le régime antérieur

Avant la réforme, la nullité des décisions sociales dans les SAS reposait sur une construction jurisprudentielle, notamment l’arrêt Larzul 2 (Cass. com., 15 mars 2023), qui avait reconnu la possibilité d’annuler une décision prise en violation de clauses statutaires influant sur le résultat du vote. Cette solution, bien que fondée sur une lecture extensive de l’article L. 227-9, n’avait pas de base textuelle claire. L’ordonnance de 2025 met fin à cette incertitude en supprimant cette disposition et en encadrant strictement les cas de nullité.

2. Le nouveau régime : contractualisation de la nullité

Désormais, la violation des statuts ne constitue plus une cause automatique de nullité. Seules les SAS ayant inséré une clause spécifique dans leurs statuts pourront voir leurs décisions annulées pour ce motif. Cette contractualisation de la nullité introduit une grande liberté mais aussi une complexité nouvelle : chaque SAS doit décider si elle souhaite ou non se doter d’un tel mécanisme.

3. Les enjeux pratiques de la clause de nullité

L’intérêt d’une clause de nullité varie selon les profils d’associés :

•    L’associé unique n’y verra souvent aucun intérêt.
•    Les groupes peuvent y trouver un levier de contrôle.
•    Les joint-ventures et sociétés familiales peuvent y voir un outil de protection des équilibres internes.
•    Les minoritaires y trouveront un moyen de faire respecter leurs droits.
•    Les majoritaires, en revanche, pourraient s’y opposer, craignant un outil de blocage.

La mise en place d’une telle clause suppose donc un équilibre délicat entre les intérêts divergents des associés.

4. Portée et limites de la clause

La clause de nullité s’applique aux « décisions sociales » au sens large : décisions collectives des associés, décisions des organes de direction ou de surveillance créés par les statuts. Toutefois, certaines limites sont posées :

•    La nullité d’une nomination irrégulière n’entraîne pas celle des décisions prises par l’organe concerné (art. 1844-15-1 C. civ.).
•    La nullité d’une décision sociale n’est pas opposable aux tiers de bonne foi (art. L. 227-6 C. com.).
•    Le recours à la responsabilité civile reste possible, mais peu efficace.

5. Rédaction de la clause : recommandations

Les auteurs proposent deux approches :
•    Une clause simple, renvoyant aux conditions légales de nullité.
•    Une clause plus sélective, identifiant les règles statutaires dont la violation entraînera nullité.

Ils déconseillent de stipuler contra legem (ex. : nullité automatique des actes conclus avec les tiers) ou de tenter d’encadrer le pouvoir d’appréciation du juge, qui reste souverain via le « triple test » : recevabilité, influence sur le sens de la décision, et conséquences excessives pour l’intérêt social.

6. Aménagements possibles

Les statuts peuvent prévoir :

•    Un seuil minimal de détention du capital pour agir en nullité (ex. : 5 %).
•    Une clause d’indemnisation des frais exposés par le demandeur.
•    Mais pas de modification du délai de prescription (2 ans), sauf débat doctrinal sur l’application de l’article 2254 C. civ.

Conclusion

La réforme de 2025 marque un tournant : elle consacre la liberté statutaire dans la SAS, tout en exigeant une vigilance accrue dans la rédaction des statuts. La clause de nullité devient un outil stratégique, à manier avec précaution. Elle offre une protection potentielle des équilibres internes, mais au prix d’une complexité juridique et d’un risque de contentieux accru. Les auteurs appellent à une réflexion approfondie sur l’opportunité d’introduire une telle clause, en tenant compte des spécificités de chaque SAS.

Pour aller plus loin : "SAS et nouveau régime des nullités", par Pierre-Louis Périn (avocat associé Fidal) et le professeur Bruno Dondero (Paris I), publié au Bulletin Joly Sociétés, juil.-août 2025,p.34.