
L’actualité juridique relative à l’intelligence artificielle s’enrichit chaque mois à travers le monde de travaux législatifs et de nouvelles décisions de justice ou administratives. Cet article se propose de dresser un inventaire des premières décisions, issues de différents territoires appliquant chacun un droit national propre, qui tranchent des demandes en revendication de droits de propriété intellectuelle sur des créations réalisées avec le concours de l’IA.
Majoritairement, les premières décisions devant statuer sur la protection par le droit d’auteur des créations générées par l’IA disent NON !
US Copyright Office, 21 février 2023, Kristina Kashtanova, « Zarya of the Dawn » : l’une des premières décisions
Kristina Kashtanova a demandé l’enregistrement au Copyright Office américain de sa bande dessinée, dont l’ensemble des images ont été générées par l’IA Midjourney.
Initialement acceptée par l’US Copyright Office, ce dernier révise partiellement sa décision après avoir découvert que l’autrice avait utilisé l’IA pour créer les images et décide :
Que le nouvel enregistrement sera limité au texte et l’arrangement des images ;
Car l’artiste ne démontre pas avoir eu un contrôle suffisant sur les images générées par l’IA malgré le temps passé et les efforts rédactionnels d’écriture des prompts.
L’implication principale d’une personne humaine dans le processus créatif est un critère essentiel pour l’US Copyright Office.
United States District Court, District of Columbia, Stephen Taller v. Shira Perlmutter, 18 août 2023 :
Stephen Taller a tenté de protéger une œuvre intitulée “A Recent Entrance to Paradise” créée par son IA « Creativity Machine ».
Dans la lignée de la position de l’US Copyright Office, la Cour a confirmé que seul un humain peut être auteur, rejetant ainsi la protection de l’œuvre réalisée par le système d’IA.
La Cour souligne que la créativité requise pour la protection par le droit d’auteur doit provenir d’une personne humaine.
US Copyright Review Board, Jason Allen, « Théâtre d’Opéra Spatial », 5 septembre 2023 :
Jason Allen a cherché à enregistrer une œuvre générée par IA après avoir remporté un prix.
L’US Copyright Office a déterminé que l’œuvre contenait trop de contributions de l’IA pour être protégée par le droit d’auteur, malgré les efforts d’Allen pour démontrer son apport créatif. Allen a fourni 624 prompts à Midjourney et fait valoir qu’il avait retravaillé l’image, mais l’Office a jugé que la contribution de l’IA était trop importante pour être ignorée.
Tribunal municipal de Prague, 11 octobre 2023 :
Le Tribunal Municipal de Prague a statué qu’une image générée par l’IA DALL-E ne pouvait pas être protégée par le droit d’auteur, car le plaignant n’a pas prouvé qu’il était à l’origine de l’image et que celle-ci résultait de son activité créatrice personnelle. Le prompt utilisé pour générer l’image n’est pas non plus protégé, car il relève du domaine de l’idée. Le Tribunal a insisté sur le fait que seule une personne physique peut être reconnue comme auteur d’une œuvre protégée par le droit d’auteur.
A contre-courant, nous avons relevé une décision des tribunaux chinois ainsi qu’une récente décision du Copyright Office américain qui prennent une position inverse :
Beijing Internet Court, Li v. Liu, 27 novembre 2023 :
Dans une affaire de contrefaçon, la Cour de Beijing a examiné l'originalité d'une image générée par l'IA Stable Diffusion.
Contrairement aux solutions précitées, la Cour a accordé la protection par le droit d'auteur à cette image, estimant qu'elle reflétait l'investissement intellectuel et l'expression personnelle de son créateur.
Concernant la titularité des droits d'auteur, la Cour a rejeté l'idée que le fournisseur de l'IA puisse être considéré comme l'auteur de l'image, puisque, en tant que concepteur du modèle d’IA, il n’a jamais été à l’initiative de la création et n’a manifesté aucune intention de la créer.
La Cour a donc statué que l'utilisateur de l'IA, qui a initié et investi intellectuellement dans la création de l'image, est le titulaire des droits d'auteur.
US Copyright Office, 30 janvier 2025, A single Piece of American Cheese:
De même, alors qu’il publiait en janvier 2025 un nouveau rapport retenant que les œuvres créées à l’aide de prompts ne pouvaient être protégées par le droit d’auteur, l’US Copyright Office a accepté de protéger l’œuvre A Single Piece of American Cheese réalisée grâce à l’IA Invoke :
Pour ceux qui craignent les bouleversements que vont générer ces IA génératives, ces décisions sont rassurantes, l’être humain semble avoir encore sa place dans l’univers de la création. Un certain nombre de législations nationales insistent explicitement sur la nécessité qu’un être humain intervienne dans un processus créatif pour accorder la protection par le droit d’auteur.
En Europe, et tout particulièrement en France, les créations réalisées au moyen de système d’IA ne seront protégées que dans la mesure où les utilisateurs pourront démontrer de manière cumulative l’originalité de l’œuvre et le lien entre cette œuvre et une personne physique ou une personne morale qui l’exploite.
Cependant, il est évident que le législateur va devoir, à court terme, adapter la législation sur le droit d’auteur ou envisager la création d’un système de protection hybride pour protéger ces nouvelles créations fruits de l’action commune homme-machine.

