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Covid-19 et force majeure, une première décision à la portée juridique limitée

26 juin 2020
par Ségolène Fouché,
Brigitte Petitdemange

Le président du tribunal de commerce de Paris a ordonné à EDF, le 20 mai 2020, de ne plus s'opposer à la suspension des engagements d'achat d'électricité de Total Direct Energie (TDE), par application de la clause d’un accord-cadre définissant la force majeure comme un évènement extérieur, irrésistible et imprévisible, rendant impossible l’exécution des obligations des parties « dans des conditions économiques raisonnables ».

1. La suspension décidée par le juge des référés

L’affaire
Dans le cadre de l'Accès Régulé à l'Electricité Nucléaire Historique (ARENH), TDE achète à l’avance et à un prix fixe une certaine quantité d’électricité nucléaire produite par EDF, pour la revendre. Durant le confinement, les principaux clients de TDE se trouvant dans l’impossibilité de consommer l’énergie à concurrence des niveaux que celle-ci avait anticipés, elle a décidé d’actionner la clause de force majeure de l’accord-cadre du 4 mai 2016. Ce qu’EDF a contesté.

La réunion des conditions de la force majeure, au sens contractuel
Le juge des référés considère que les conditions de la force majeure, définies par l'accord-cadre, sont manifestement réunies.

Il retient tout d’abord que « sans que cela soit contesté, la diffusion du virus revêt, à l'évidence, un caractère extérieur aux parties, qu'elle est irrésistible et qu'elle était imprévisible comme en témoignent la soudaineté et l'ampleur de son apparition ».

Puis en l’absence de définition des conditions économiques raisonnables, le juge estime que le lien de cette notion «avec la survenance d’un événement de force majeure permet toutefois de supposer un bouleversement des conditions économiques antérieures qui se traduit par la survenance de pertes significatives nées de l’exécution du contrat ».
A ce titre, il relève que TDE est « confrontée à une baisse brutale et imprévisible de la consommation », l’obligeant, dans la mesure où l’électricité n’est pas stockable, à « céder des quantités qu'elle est dans l'obligation d'acheter auprès d'EDF à un prix très sensiblement inférieur à son coût d'acquisition » (coût d’acquisition : 42 € par MWh / prix de vente : 21 € par MWh), subissant ainsi « des pertes importantes, immédiates et définitives sur une durée dont elle n'a pas la maîtrise ».

Le juge observe ensuite que le contrat prévoit également que la survenance d’un tel événement « entraîne la suspension immédiate dès la survenance de celui-ci et de plein droit l’interruption de la cession annuelle d’électricité » ; ce qui interdit une discussion sur les circonstances évoquées par TDE pour justifier de la force majeure.

Le trouble manifestement illicite
C’est dans ces conditions que le juge retient l’existence d’un trouble manifestement illicite qu’il est en son pouvoir de faire cesser puisqu’EDF s’oppose « à l’exécution d’un contrat dont les dispositions […] sont claires, qui trouvent au surplus à s’appliquer dans des périodes exceptionnelles impliquant des bouleversements économiques ».

2. Les effets contrastés de la décision

Des conséquences financières lourdes pour EDF
Au-delà des effets de l’ordonnance du 20 mai entre TDE et EDF, cette décision risque d’être lourde de conséquences pour cette dernière, l’accord-cadre ayant « une porté générale s’agissant d’un contrat qui s’impose à tous les fournisseurs alternatifs d’électricité de l’ARENH » ; d’où d’ailleurs la recevabilité de l'intervention de l'Association Française Indépendante de l'Electricité et du Gaz et surtout la reprise des arguments de TDE par de nombreux fournisseurs alternatifs d’électricité pour obtenir également la suspension de leurs obligations.

Une faible contribution à la qualification de force majeure pour la pandémie de covid-19
La qualification légale de force majeure ne doit pas être confondue avec la définition de la force majeure donnée par une clause dans un contrat, les parties pouvant (comme au cas d’espèce) aménager les caractéristiques de l’évènement auquel elles donnent, entre elles, l’effet d’un cas de force majeure.
Il reste qu’ici le caractère irrésistible de la pandémie ne semble pas avoir été discuté alors qu’il fait débat en doctrine.

L’ordonnance de référé du 20 mai 2020 ne permet donc pas de considérer que la pandémie de covid-19 constitue un cas de force majeure, au sens de l’article 1218 du code civil.
Une position des juges du fond serait en revanche souhaitable. Mais remettra-t-elle en cause une jurisprudence dominante qui refuse aux épidémies le caractère de force majeure ?
A suivre …

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