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Le droit de l’environnement après la loi du 24 décembre 2020 - épisode 2 : quelques nouveautés en matière d’enquête, d’alternative aux poursuites, de sanctions

16 mars 2021
par Brigitte Petitdemange,
Thibaut Geib,
Pierre-Henri Gout,
Anaïs Lelievre

A l’échelle européenne, la lutte contre la criminalité environnementale fait l’objet d’un regain d’intérêt. Son principal instrument est la directive 2008/99/CE relative à la protection de l’environnement par le droit pénal. Toutefois, une récente évaluation de cette directive a révélé que celle-ci « n’a pas entièrement atteint ses objectifs ». Afin d’y remédier, la Commission européenne vient de lancer une consultation publique visant à la fois à « recueillir des avis sur l’efficacité des options envisagées pour la révision de la directive 2008/99/CE », mais également à « permettre un retour d’information et des suggestions supplémentaires, pour améliorer la directive ». Cette consultation est ouverte du 8 février 2021 au 3 mai 2021 pour recueillir les contributions du public et d’un large éventail de parties prenantes.

A l’échelle nationale, la justice pénale environnementale a fait l’objet d’évolutions récentes. La loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée a ainsi introduit de nouvelles dispositions visant notamment à améliorer les procédures d’enquêtes menées par les inspecteurs de l’environnement (A), à proposer une nouvelle alternative aux poursuites (B), et enfin à renforcer les sanctions pénales (C).

A – De nouvelles prérogatives de police judiciaire pour les inspecteurs de l’environnement

Pour rappel, la police judiciaire, qui est chargée de constater les infractions à la loi pénale, d'en rassembler les preuves et d'en rechercher les auteurs comprend : les officiers de police judiciaire, les agents de police judiciaire et les agents de police judiciaire adjoints, les fonctionnaires et agents auxquels sont attribuées par la loi certaines fonctions de police judiciaire.

Les inspecteurs de l’environnement appartiennent à cette dernière catégorie et regroupent l’ensemble des fonctionnaires et agents publics compétents pour les contrôles de police administrative et disposant de pouvoirs de police judiciaire pour la répression des atteintes à l’environnement, qu’il s’agisse des infractions aux dispositions du code de l’environnement ou à celles du code pénal (relatives à l'abandon d'ordures, déchets, matériaux et autres objets).

Mais, jusqu’à présent, leurs prérogatives restaient limitées à deux égards.

Tout d’abord, ils ne bénéficiaient pas d’une compétence universelle comme les officiers ou agents de police judiciaire (policiers ou gendarmes). Leur action était conditionnée et limitée par les lois qu’ils doivent faire appliquer et qui sont issues du code de l’environnement. Par ailleurs, un second frein existait dans le cadre de la procédure de co-saisine, utilisée lorsque des faits constitutifs d’une infraction nécessitent la conjugaison des pouvoirs coercitifs des officiers de police judiciaire et des compétences techniques appartenant à « des corps de fonctionnaires déterminés ». Comme l’ont souligné les parlementaires, le code de procédure pénale restait silencieux sur les prérogatives de police judiciaire dont disposaient les fonctionnaires co-saisis.

Pour pallier ces failles, la loi du 24 décembre 2020 apporte deux principales innovations.

Premièrement, elle confère à certains inspecteurs de l’environnement affectés à l'Office français de la biodiversité (spécialement désignés par arrêté conjoint du ministre de la justice et du ministre chargé de l’environnement) les mêmes prérogatives et obligations que celles des officiers de police judiciaire pour les enquêtes judiciaires qu’ils diligentent. Leurs prérogatives se trouvent ainsi considérablement accrues.

Deuxièmement, cette loi organise les cas de co-saisine et permet aux inspecteurs de l’environnement affectés à l’Office français de la biodiversité, pour certains délits commis en bande organisée, d’assister les officiers et agents de police judiciaire ou les agents des douanes dans les actes auxquels ils procèdent, à savoir les interrogatoires de garde à vue, les confrontations et les perquisitions.

B – Une nouvelle alternative aux poursuites : la convention judiciaire d’intérêt public environnementale (CJIP)

D’après les statistiques les plus récentes, le taux de réponse pénale pour les infractions au code de l’environnement serait de 92,3 % avec, dans 78,6 % des cas, des procédures alternatives aux poursuites et donc une minorité d’affaires renvoyées devant les juridictions pénales.

En effet, l’engagement des poursuites est réservé aux cas d'atteintes graves ou irréversibles à l'environnement ou de manquements délibérés ou réitérés. Dans les autres cas, les mesures alternatives sont clairement privilégiées :

  • composition pénale (qui ne peut excéder le montant maximum de l'amende encourue) ;
  • médiation pénale (entre l’auteur des faits et la victime) ;
  • classement sous condition de régularisation ou de travaux ;
  • rappel à la loi (pour les situations régularisées et n'ayant entraîné aucun dommage à l'environnement) ;
  • transaction prévue au code de l’environnement : l’autorité administrative (sous le contrôle du procureur) peut, tant que l'action publique n'a pas été mise en mouvement, transiger avec les personnes physiques et les personnes morales sur la poursuite des contraventions et délits prévus et réprimés par ce code, à l'exception, non négligeable, des délits punis de plus de deux ans d'emprisonnement.

Pour les atteintes graves à l’environnement, le ministère public ne disposait pas vraiment d’autre choix que d’engager des poursuites, avec le risque de procédures à rallonge qui pouvaient retarder considérablement la réparation des dommages. Aux fins d’apporter une réponse pénale plus rapide, la loi du 24 décembre 2020 introduit, à l’instar des dispositions existantes en matière de fraude fiscale et de corruption, une nouvelle CJIP. Celle-ci permet de régler un litige par le biais d’une « transaction » entre le procureur et la personne morale mise en cause (puis homologuée par un juge).

A la différence de la transaction pénale environnementale, la CJIP dispose d’un champ d’application étendu, en étant ouverte aux « personnes morales mises en cause pour un ou plusieurs délits prévus par le code de l’environnement ainsi que pour des infractions connexes » (à l’exclusion des infractions contre les personnes). En outre, le montant de l’amende en CJIP est proportionné aux avantages tirés des manquements, dans la limite de 30 % du chiffre d'affaires moyen annuel (sur les trois derniers chiffres d'affaires annuels connus à la date du constat de ces manquements), alors qu’en matière de transaction pénale, il ne peut excéder le tiers du montant de l'amende encourue. La pratique montre que le montant des amendes arrêtées en CJIP peut être considérable : 500 millions d’euros pour Google France et Irlande (fraude fiscale - 3 septembre 2019), trois millions d’euros pour Bank of China (blanchiment - 10 janvier 2020), près de deux milliards d’euros pour Airbus (corruption - 29 janvier 2020).

Outre le versement d’une amende au Trésor public et dans l’optique de remise en état ou de restauration du milieu, la CJIP peut prévoir, pour la personne morale, la régularisation de sa situation au regard de la loi ou des règlements dans le cadre d'un programme de mise en conformité (d'une durée maximale de trois ans, sous le contrôle des services du ministère de l'environnement), ainsi que la réparation du préjudice écologique résultant des infractions commises (là encore dans un délai maximal de trois ans et sous le contrôle des mêmes services). Et lorsque la victime est identifiée, sauf si la personne morale mise en cause justifie de la réparation de son préjudice, la convention prévoit également le montant et les modalités de la réparation des dommages causés par l'infraction (dans un délai qui ne peut être supérieur à un an).

D’autres particularismes de la CJIP doivent être connus : si elle n’implique pas de reconnaissance de culpabilité, ni d’inscription au casier judiciaire (évitant que des entreprises soient privées d’un accès aux marchés publics), la CJIP est toujours rendue publique (publiée sur les sites internet du ministère de la justice, du ministère de l'environnement et de la commune sur le territoire de laquelle l'infraction a été commise), avec un exposé des faits reprochés à la personne mise en cause et l’indication du montant de l’amende versée ; ce qui peut avoir un impact significatif sur la réputation de l’entreprise.

C – Des sanctions pénales renforcées

Au cours des débats parlementaires, il est apparu nécessaire de renforcer les sanctions pénales en comblant quelques vides juridiques.

Il en va ainsi pour le non respect d’une remise en état exigée par l’autorité administrative après une fin d’exploitation. Car jusqu’à présent, était puni de deux ans d'emprisonnement et de 100.000 euros d'amende le fait d'exploiter une installation ou un ouvrage soumis à autorisation (IPCE, IOTA, canalisations, activités bruyantes), en violation, notamment d'une mesure de mise en demeure prononcée par l'autorité administrative.

Or, cette rédaction ne concernait pas les installations et ouvrages qui n’étaient plus exploités. Le législateur a donc étendu le champ d'application du délit à l’exploitant qui, après la cessation d'activité, ne s’est pas conformé aux obligations de remise en état ou aux mesures de surveillance prescrites par l’administration.

Un autre vide existait en matière de pollution par rejet des eaux de ballast. Bien que le fait pour le capitaine d'un navire de rejeter des eaux de ballast soit puni d'un an d'emprisonnement et de 300.000 € d'amende, il était fréquemment constaté que ces condamnations restaient inexécutées par les capitaines et armateurs de navires étrangers. Fort de ce constat, le législateur a ajouté une possibilité d’immobilisation du navire qui a servi à commettre l'infraction, sur décision du procureur de la République ou du juge d'instruction. Ces magistrats peuvent ensuite, à tout moment, ordonner la levée de l'immobilisation s'il est fourni un cautionnement dont ils fixent le montant et les modalités de versement.

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