FILTRER
Réinitialiser

La sanction de la violation par le licencié d’un contrat de licence ? Responsabilité contractuelle versus contrefaçon… La responsabilité contractuelle l’emporte !

13 avril 2021
par Laurence Dreyfuss Bechmann,
Charles Suire

CA Paris., 19 mars 2021, n° 19/17493

Dans une décision rendue le 19 mars 2021, opposant les sociétés Orange et Entr’ouvert, la cour d’appel de Paris a proposé une interprétation inattendue d’une importante question de droit qui concerne non seulement la propriété intellectuelle, mais également d’une manière plus large le droit civil : celui de la distinction des régimes de responsabilité contractuelle et délictuelle.

S’il est admis de longue date qu’un justiciable ne peut réclamer la sanction d’un tiers à la fois sur le terrain de la responsabilité contractuelle et sur celui de la responsabilité délictuelle, la détermination du régime approprié ne relève pas systématiquement de l’évidence. Les motivations du choix de l’un ou l’autre de ces dispositifs peuvent être largement dictées par les mécanismes de sanctions que peut espérer mettre en œuvre le demandeur contre le fautif.

Tel est notamment le cas de la contrefaçon de droits de propriété intellectuelle (« DPI »), en ce sens que si les conditions apparaissent réunies, le titulaire peut faire appel aux mécanismes spécifiques de collecte de preuve (saisie-contrefaçon, droit d’information, etc.) et d’indemnisation particulièrement attractifs.

Jusqu’à présent, la violation d’obligations contractuelles par un licencié ou un tiers autorisé semblait pouvoir être réprimée par l’application du régime de la contrefaçon. La Cour de cassation a conclu en ce sens par le passé : « l'arrêt relève que la société Folia est autorisée à exploiter la marque sous la condition expresse, exempte de toute ambiguïté, de respecter le graphisme de la marque telle que celle-ci a été déposée et que cet accord de coexistence doit recevoir une interprétation restrictive afin d'éviter tout risque de confusion entre les marques ; qu'il en déduit à bon droit qu'en ne respectant pas les accords contractuels auxquels elle était soumise, la société Folia a commis des actes de contrefaçon à l'égard de la société Morgan » (Cass. Com., 31 mars 2009, n° 07-17.665).

Au demeurant, cette position n’était pas dénuée d’une certaine logique dans la mesure, d’une part, où le Code de la propriété intellectuelle aménage précisément les prérogatives d’un titulaire de droit, dont celles d’interdire ou d’autoriser par contrat des tiers à exploiter un droit. D’autre part, la violation d’engagements contractuels encadrant l’exploitation d’un DPI était classée par les juges comme une hypothèse d’atteinte aux DPI, soit une faute de nature délictuelle.

Or, une affaire opposant les sociétés Free et IT Development à la fin de l’année 2018 a soulevé une controverse sur le bien-fondé d’une telle solution.

Répondant à la demande de Cour d’appel de Paris, la Cour de justice de l’Union européenne a retenu qu’une telle faute s’analyse bien comme un cas d’atteinte à un DPI, lequel implique l’application des garanties spécifiques prévues par la Directive n° 2004/48. Pourtant, la Cour de Luxembourg affirme dans sa décision que les États membres conservent la liberté de « fixer les modalités concrètes de protection des dits droits et de définir, notamment, la nature, contractuelle ou délictuelle, de l’action » (CJUE., 18 décembre 2019, aff. n° C-666/18).

Non clairement tranché par la CJUE, l’antagonisme se trouve, à nouveau, soumis à l’examen du juge d’appel parisien dans l’affaire commentée. De façon surprenante, et prenant acte de la marge de manœuvre laissée aux institutions nationales sur le point de qualifier la nature de l’action en cause, la Cour d’appel considère que le principe de non-cumul des différents régimes de responsabilité conduit à écarter celui du régime de responsabilité délictuelle dans le cas d’espèce, puisque la faute résulte de la méconnaissance d’une obligation contractuelle. Elle en déduit que l’action du titulaire de droit, qui ne formait que des demandes sur le terrain de la contrefaçon, est de ce fait irrecevable.

Une intervention de la Cour de cassation serait désormais très profitable pour positionner de façon claire le régime applicable au cas de violation d’un contrat de licence.

Sur la même thématique

Je souhaite être recontacté
close
*Champs obligatoires

This question is for testing whether or not you are a human visitor and to prevent automated spam submissions.

close
*Champs obligatoires

This question is for testing whether or not you are a human visitor and to prevent automated spam submissions.