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Amendement sur l’abandon de poste : la « très » fausse bonne idée !

14 octobre 2022
par Stéphane Béal

Dans le cadre de débats à l’Assemblée nationale sur le projet de loi sur le marché du travail, un amendement a été déposé et voté à une large majorité : « Le salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure à cette fin, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, est présumé démissionnaire… »

Il s’agit d’une présomption simple[1].

Une voie de recours est prévue par le projet puisque le salarié pourrait saisir le conseil de prud'hommes afin de contester la rupture de son contrat de travail, le CPH devant se prononcer sur la nature de la rupture dans le délai d'un mois.

En dehors de tout débat philosophique, l’idée peut paraître séduisante. Tous les employeurs y ont été confrontés et ce n’est pas sans exaspération qu’ils se voient contraints de licencier le salarié qui ne veut pas démissionner, licenciement qui lui ouvrira droit à l’assurance chômage pourtant réservée aux salariés privés involontairement d’emploi.

Mais alors pourquoi est-ce une fausse bonne idée ?

Tout d’abord parce que l’on fait peser le risque sur l’entreprise pour une question de droit à l’allocation pôle emploi. En effet, c’est l’entreprise qui devra faire le choix entre licencier le salarié, comme maintenant, ou utiliser cette présomption.

Sans rentrer dans le détail, il y a fort à parier que les plus petites entreprises se tourneront vers cette solution à priori simple (puisque notamment pas de procédure de licenciement) sans qu’elles s’interrogent suffisamment sur le comportement du salarié : s’agit-il d’un abandon de poste (qui est une absence prolongée sans autorisation préalable) ou d’une absence irrégulière qui n’est pas visée par l’amendement ?

Que pensez-vous que le salarié concerné fera lorsque, non seulement « privé » des indemnités de rupture (ce qui est déjà le cas actuellement lorsque celui-ci est licencié pour faute grave pour abandon de poste), il se verra au surplus privé des allocations chômage ?

Il saisira le CPH pour tenter de renverser la présomption. L’on verra alors fleurir tout un tas de justifications de l’abandon de poste-démission, plus ou moins sérieuses notamment pour des manquements, réels ou supposés, en matière de santé et sécurité (l’exposé des motifs y faisant d’ailleurs expressément référence).

Mais contre qui agira le « démissionnaire » ? Pas contre Pôle emploi mais contre l’employeur et, comme le projet le prévoit, dans un délai extrêmement court[2] (1 mois comme pour la prise d’acte ; tiens tiens !).

Pour faire bonne mesure l’intéressé pourrait être tenté de solliciter des dommages et intérêts pour avoir été privé « injustement » des allocations.

Voilà quelques-unes des difficultés et des effets que l’on peut prophétiser. Une expression paraît adaptée : l’enfer est pavé de bonnes intentions !

[1] A la différence de la présomption dite « irréfragable », la présomption simple peut être renversée par la preuve contraire par tout moyen.

[2] A dire vrai on se demande comment un tel délai d’1 mois pourrait être respecté.

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