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Le droit de l’environnement après la loi du 24 décembre 2020 - épisode 1 : une organisation judiciaire qui se densifie

March 09, 2021
by Brigitte Petitdemange,
Thibaut Geib,
Pierre-Henri Gout,
Anaïs Lelievre

D’année en année, la lutte contre les atteintes à l’environnement est devenue une préoccupation majeure, à l’image de l’intégration de la Charte de l’environnement de 2004 au préambule de la Constitution. L'environnement y est décrit comme « le patrimoine commun des êtres humains », dont la préservation « doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation ». Presque vingt ans après, en réponse à ces exigences, le droit pénal de l’environnement est sous le feu des projecteurs en raison du débat sur la création de nouveaux délits « d’écocide ». Le sujet est délicat, notamment sur la mise en danger de l’environnement qui ferait peser un risque pénal sur des entrepreneurs pour des faits non encore réalisés (à l’image de l’infraction, en droit pénal du travail, de mise en danger d’autrui). Mais sans attendre, la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée a déjà introduit dans notre droit de nouvelles dispositions. Dans ce premier épisode, l’accent sera mis sur des mesures plutôt processuelles, mais ô combien symboliques, avec la création de pôles régionaux spécialisés, l’extension de la compétence des juridictions du littoral spécialisées et la spécialisation des tribunaux judiciaires pour le contentieux civil environnemental. Dans un deuxième épisode, il sera temps de souligner les nouveautés en matière d’enquête, d’alternative aux poursuites et de sanctions.

A – La création de pôles régionaux spécialisés

La procédure pénale en matière d’environnement ne se distingue guère par sa clarté, notamment quant à la détermination des juridictions compétentes. En effet, tout dépend des infractions commises et du niveau de complexité de l’affaire, lequel est laissé à la libre appréciation du juge, sur la base de critères pour le moins flous.

Schématiquement, pour les affaires « de faible complexité », la répression des infractions relève du tribunal judiciaire, juridiction locale de droit commun.

Lorsque les choses deviennent plus corsées, c'est-à-dire pour les affaires de « grande complexité », pour reprendre les termes du code de procédure pénale, sont compétentes :

  • les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS), pour les atteintes « crapuleuses » à l’environnement commises en bande organisée (comme le trafic de déchets) ;
  • les pôles interrégionaux spécialisés en matière d’atteintes à l’environnement et à la santé publique (PSP), pour les affaires relatives aux produits de santé, produits alimentaires, produits, substances, pratiques et prestations réglementés en raison de leurs effets ou de leur dangerosité (par exemple, les contentieux impliquant des pollutions d’ampleur comme l’affaire « Lubrizol ») ;
  • les pôles des accidents collectifs (PAC) pour les catastrophes environnementales ou industrielles de type « Grande Paroisse / AZF » marquées par un grand nombre de victimes (infractions d’homicide et/ou de blessure involontaire).

Et pour les pollutions maritimes et atteintes aux biens culturels maritimes, quel que soit leur niveau de complexité, il appartient aux juridictions du littoral spécialisées (JULIS) d’en connaître.

Désormais, un niveau supplémentaire et intermédiaire est prévu, entre les affaires de « faible complexité » et de « grande complexité », avec les nouveaux pôles régionaux spécialisés (PRS). A savoir qu’un tribunal judiciaire au sein du ressort de chaque cour d’appel est désormais chargé du contentieux « complexe » relevant du code de l’environnement, du code forestier, de la protection des végétaux, de l’exploitation ou de la recherche de mines, de la mise sur le marché du bois et de produits dérivés du bois.

La répartition du contentieux avec les autres juridictions de ce ressort s’opère sur la base du critère de « complexité », laissé à l’appréciation du juge, à partir de critères généraux, non exhaustifs, comme la technicité des affaires, l'importance du préjudice ou le ressort géographique sur lequel elles s'étendent.

Avec cette nouvelle spécialisation, le législateur a entendu confier à quelques magistrats un nombre suffisant de dossiers afin qu'ils acquièrent « une compétence pointue sur ces dossiers souvent techniques » (cf. travaux parlementaires).

B – L’extension de la compétence des juridictions du littoral spécialisées (JULIS)

La loi du 24 décembre 2020 étend par ailleurs la compétence des JULIS : au-delà des pollutions commises dans les eaux territoriales, les eaux intérieures et les voies navigables, la zone économique exclusive ou la zone de protection écologique, sont désormais concernées celles commises sur le plateau continental. Pourraient, par exemple, être réprimées les infractions consécutives à des travaux d’exploitation / exploration offshore.

De même, les JULIS connaissent des infractions relatives aux biens culturels maritimes, c'est-à-dire les gisements, épaves, vestiges ou tout bien présentant un intérêt préhistorique, archéologique ou historique, non seulement lorsqu’elles sont commises dans les eaux territoriales (jusqu’à 12 miles marins des côtes), mais également dans la zone contiguë, c'est-à-dire jusqu’à 24 miles marins des côtes.

C – La spécialisation des tribunaux judiciaires pour le contentieux civil environnemental

Outre les affaires pénales qui apparaissent « complexes », les nouveaux pôles régionaux spécialisés (PRS) sont également compétents pour traiter trois types de contentieux civils :

  • les actions relatives au préjudice écologique (art. 1246 à 1252 c. civ.) ;
  • les actions en responsabilité civile prévues par le code de l'environnement ;
  • les actions en responsabilité civile fondées sur les régimes spéciaux de responsabilité applicables en matière environnementale résultant de règlements européens, de conventions internationales et des lois prises pour l'application de ces conventions (par exemple, les régimes spéciaux relatifs à la pollution par les hydrocarbures, le nucléaire, le transport de déchets dangereux ou les organismes génétiquement modifiés).

Si cette nouvelle compétence générale n’interfère pas avec la spécialisation des JIRS et des JULIS, la loi n’apporte pas de précision sur la coordination entre les tribunaux spécialisés en matière pénale, et les tribunaux spécialisés en matière civile. Il reste, et comme l’a souligné la commission des lois de l’Assemblée nationale, qu’en toute logique, un seul et même tribunal judiciaire exercera ces deux nouvelles spécialisations au sein de chaque cour d’appel ; « tout autre choix induirait une perte de synergie contraire aux objectifs de la loi ».

En tout état de cause, cette nouvelle spécialisation en matière civile confirme la volonté du législateur de confier à quelques magistrats du tribunal concerné une expertise en contentieux de l’environnement.

La meilleure prise en compte de la spécificité des contentieux environnementaux se traduit également par de nouvelles dispositions en matière d’enquête, d’alternative aux poursuites et de sanctions, ainsi qu’il sera exposé dans notre second épisode.

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