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COVID-19 et locations meublées touristiques : les conditions d’annulation à l’épreuve de la force majeure

April 07, 2020
by Sophie Latieule

Les loueurs particuliers, propriétaires de logements meublés touristiques sont confrontés à des demandes d’annulation de séjour de la part de leurs locataires, motivées par la pandémie de COVID-19. Ces annulations amènent à s’interroger sur le sort des sommes versées par le locataire au moment de la réservation du logement meublé touristique.

(i) Le principe du sort des sommes versées par le locataire

En principe, les conditions d’annulation sont réglées par le contrat et diffèrent selon que l’annulation est à l’initiative du locataire ou du propriétaire.

Pour mémoire, l’hébergement touristique ne fait pas partie des activités dont la fermeture a été ordonnée par le Décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 « prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire », de sorte que les propriétaires bailleurs peuvent continuer à proposer leurs services de location meublée touristique. Dans le cas considéré, l’annulation est donc le fait uniquement du locataire, empêché de se déplacer en raison du confinement et de la fermeture des frontières au sein de l’UE, depuis le 17 mars 2020.

Dans le silence du contrat et lorsque l’annulation est le fait du locataire, les conséquences de l’annulation dépendront de la nature des sommes versées :

  • en cas de réservation faite avec versement d’un acompte, l’acompte versé reste acquis au bailleur à titre de première quotité à valoir sur l’intégralité des loyers dus au titre de la location ;
  • en cas de réservation faite avec versement d’arrhes, le locataire peut se dédire en abandonnant les arrhes au bailleur, pour solde de tout compte.

(ii) Les conditions de la force majeure et ses impacts sur le contrat

Les prévisions du contrat en cas d’annulation, sont toutefois bouleversées en présence d’un cas de force majeure, lequel se définit selon l’article 1218 du code civil comme :

  • un évènement échappant au contrôle du débiteur,
  • qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, - et qui empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.

Lorsque l’empêchement est définitif, en présence notamment de contrats à exécution instantanée (comme c’est le cas des contrats de location meublée touristique conclus pour de courtes durées), le contrat est résolu de plein droit, les parties étant libérées de leurs obligations.

La force majeure relève de l’appréciation souveraine des Juges, aussi rien ne permet d’affirmer à cette heure avec certitude que l’épidémie de COVID-19 remplit les conditions de la force majeure, cette notion ayant été écartée pour de précédentes épidémies (grippe H1N1, Dengue, Chikungugna, etc.). En revanche, les mesures prises pour endiguer cette épidémie (fermeture des frontières, confinement, etc.) pourraient en tant que telles, répondre aux conditions de la force majeure, compte tenu de leur caractère exceptionnel, inédit et imprévisible, et conduire les Juges à retenir la force majeure dans ce contexte particulier.

La force majeure s’apprécie en outre au cas par cas, la date de la signature du contrat constituant à l’évidence, un élément déterminant. Pour relever de la force majeure, l’évènement ne pouvait en effet être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat. Là encore, l’incertitude demeure sur la date à retenir : s’agit-il de celle de la déclaration de l’OMS du 30 janvier 2020 établissant comme élevé le risque de propagation internationale du COVID-19, celle du 29 février 2020 correspondant à la déclaration officielle de l’épidémie en France, ou encore celle du décret n°2020-260 du 16 mars 2020 imposant le confinement sur le territoire français ?

Par un arrêt du 12 mars 2020 (n°20/01098), la Cour d’appel de COLMAR vient de qualifier le risque de contagion par le COVID-19 de force majeure dans le contexte particulier d’un demandeur d’asile frappé d’une mesure de rétention administrative, la Cour ayant considéré que « les circonstances exceptionnelles entraînant l’absence de M.G. à l’audience de ce jour, revêtent le caractère de la force majeure, étant extérieures, imprévisibles et irrésistibles, vu le délai imposé pour statuer et le fait que dans ce délai, il n’est pas possible de s’assurer de l’absence de risque de contagion et de disposer d’une escorte autorisée à conduire M.G à l’audience

Cette première décision rendue en matière de droit des étrangers, pourrait ouvrir la voie à d’autres décisions attendues notamment en matière contractuelle.

(iii) L’impact de l’ordonnance n°2020-315 du 25 mars 2020 relative aux conditions financières de résolution de certains contrats de voyages touristiques et de séjours

Au visa de l’article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, l’ordonnance n°2020-315 du 25 mars 2020 relative « aux conditions financières de résolution de certains contrats de voyages touristiques et de séjours en cas de circonstances exceptionnelles et inévitables ou de force majeure », fixe les conditions et modalités dans lesquelles les professionnels du secteur du tourisme (agences de voyage, tours opérateurs, détaillants), peuvent proposer à leurs clients un remboursement sous forme d’avoir, en cas d’annulation de leurs contrats de voyages ou de séjours, notifiée entre le 1er mars et le 15 septembre 2020.

Cette ordonnance, destinée à soutenir la trésorerie des opérateurs et professionnels du secteur du tourisme, semble également pouvoir s’appliquer aux non-professionnels en visant « les personnes physiques ou morales » - sans préciser qu’il s’agit de professionnels - « produisant elles-mêmes les services, mentionnés au 2°, au 3° et au 4° du I de l’article L. 211-2 du code du tourisme », à savoir :

  • 2° L'hébergement qui ne fait pas partie intégrante du transport de passagers et qui n'a pas un objectif résidentiel, (c’est-à-dire potentiellement une prestation isolée d’hébergement touristique),
  • 3° La location de voitures particulières, …/…
  • 4° Tout autre service touristique qui ne fait pas partie intégrante d'un service de voyage.

Pour ces services et par dérogation aux dispositions du troisième alinéa de l’article 1229 du code civil, l’ordonnance n°2020-315 prévoit que « lorsque le contrat fait l’objet d’une résolution en application du second alinéa de l’article 1218 du même code, les personnes physiques ou morales mentionnées à ces 2° et 3° peuvent proposer, à la place du remboursement de l’intégralité des paiements effectués, un avoir que le client pourra utiliser dans les conditions prévues par les dispositions des III à VI du présent article. »

En d’autres termes, les propriétaires particuliers proposant un service isolé d’hébergement touristique, pourraient alors en cas d’annulation de leur contrat, conserver les sommes versées par leurs locataires et leur proposer un remboursement sous forme d’avoir, valable pour une durée obligatoire de 18 mois, à condition toutefois que la résolution du contrat soit fondée sur la force majeure et qu’elle soit notifiée entre le 1er mars et le 15 septembre 2020.

Ce mécanisme suppose donc comme préalable, que le contrat soit résolu pour un cas de force majeure et donc que les conditions d’application de l’article 1218 du code civil soient toutes réunies, et que les parties reconnaissent que l’épidémie de covid-19 soit qualifié d’évènement de force majeure alors qu’à ce jour, ce point n’est pas encore tranché en matière contractuelle.

L’ordonnance n°2020-315 prévoit enfin que si aucun nouveau contrat n’est conclu à l’issue de la durée de validité de l’avoir de 18 mois, le client est intégralement remboursé des sommes qu’il avait versées.

 

Face à l’incertitude juridique de la situation, en ce compris sur l’application de l’ordonnance n°2020-315 aux non-professionnels et dans l’attente d’une position de la jurisprudence ou du législateur sur la qualification ou non de l’épidémie de COVID-19 de cas de force majeure, les loueurs particuliers offrant une prestation isolée d’hébergement touristique, pourront donc s’interroger sur la pertinence de se prévaloir de l’ordonnance n°2020-315 et préférer :

  • appliquer strictement les conditions d’annulation de leurs contrats, notamment lorsqu’elles leur permettent de conserver l’intégralité des sommes versées par leurs locataires,
  • ou s’ils y consentent, proposer à leurs locataires un avoir valable sur un prochain séjour, mais en dehors du cadre et des délais fixés par l’ordonnance n°2020-315, ou encore rembourser intégralement leurs locataires, afin de tenir compte du caractère assurément exceptionnel de la situation.

Avant de faire un choix, et après avoir vérifié au cas par cas, la date de conclusion et les conditions spécifiques de leurs contrats, les loueurs devront donc en fonction de chaque situation, apprécier l’ensemble de ses incidences, y compris en termes d’image.

 

(le 7 avril 2020)

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