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CORONAVIRUS, SI L’IMPREVISION ETAIT PREFERABLE A LA FORCE MAJEURE ?

March 12, 2020
by Pascal Jacquot

Inspirés par l’annonce faite le 28 février dernier par Bruno Le Maire, Ministre de l’Economie et des Finances, pour les marchés publics, beaucoup d’acteurs économiques pensent à invoquer la force majeure pour excuser l’inexécution de leurs obligations du fait du coronavirus COVID-19. Pourtant, la force majeure repose aujourd’hui sur deux critères cumulatifs si difficiles d’application qu’ils n’ont jamais été jusqu’à présent retenus pour une épidémie (cf. les nombreux arrêts cités au BRDA 6/20 du 15 mars 2020).

D’une part, à la conclusion du contrat, l’événement ne doit pas pouvoir être raisonnablement prévu. La difficulté ici est de déterminer à partir de quel moment peut-on considérer que le COVID-19 pouvait être connu pour impacter le contrat : lorsque l’épidémie a commencé en Chine ? en France ? lorsque nous sommes passés au niveau 2 ou que nous passerons au niveau 3 ? L’aléa est d’autant plus fort que ce n’est pas tant l’épidémie elle-même qui constitue l’empêchement, mais davantage les mesures prises pour freiner sa propagation, mesures qui ne cessent au surplus de changer, tant dans le temps que dans l’espace.

D’autre part et surtout, le principal obstacle à la force majeure réside dans le second critère, l’irrésistibilité. Il faudra démontrer que le coronavirus justifie une incapacité totale d’exécuter son obligation. Or, il est évident que nous sommes toujours, théoriquement, dans la capacité de trouver un remplaçant, un autre forme de travail, d’avoir recours à un autre circuit de distribution, bref de trouver les « mesures appropriées » de l’article 1218 du Code civil pour fournir la prestation prévue.

C’est pourquoi bien plus que l’existence ou non de mesures théoriques de substitution, le débat devrait porter sur le surcoût bien réel engendré par ce virus. Or, depuis la réforme du droit des obligations en 2016, il existe dans notre droit privé un instrument répondant précisément à cette question : l’imprévision. Comme le définit clairement l’article 1195 du Code civil : « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepter d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. ». Si l’on retrouve l’imprévisibilité de la force majeure, ce n’est plus une imprévisibilité absolue, intrinsèque, mais seulement le « changement de circonstances » qui doit être imprévisible, ce qui est beaucoup plus facile à établir et qui est même, pour le coronavirus, évident. De même, comme le Juge administratif l’a relevé depuis 1916, le coût excessivement onéreux peut être montré facilement, par un déficit d’exploitation ou même un dépassement du prix prévisionnel.

Certes, l’imprévision ne permet qu’une « renégociation » du contrat pendant laquelle le contrat est censé continuer à être exécuté. Mais, le contentieux administratif, où la même obligation de poursuite s’impose depuis longtemps, montre que le demandeur peut en être libéré si les circonstances en imposent l’arrêt ou si l’obstacle ne peut pas être surmonté. De plus, cette renégociation n’est qu’une étape précédant la résolution ou le Juge. Par conséquent, plutôt que de se précipiter sur le brutal droit à résiliation unilatéral de l’article 1226 du Code civil ou sur la célèbre force majeure, l’imprévision nous semble une piste qui mérite d’être explorée car elle conjugue adaptabilité et graduation des solutions.

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