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EGalim : refus des sénateurs de délibérer sur le projet de loi adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture

September 28, 2018
by Laetitia Alard,
Philippe Vanni

Lors de la séance publique du 25 septembre, les sénateurs ont manifesté leur profond désaccord avec les députés sur le contenu du projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dit « EGalim », en décidant qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre leur délibération.

Désormais c’est à l’Assemblée nationale de procéder à une lecture définitive du projet de loi à compter du 2 octobre, sur la base de la version qu’elle a elle-même adoptée le 14 septembre 2018 (TA n° 171). Son contenu ne devrait donc en principe pas évoluer.

En conséquence, il apparaît pertinent de revenir sur cette dernière version du projet qui certes, tient compte de quelques mesures introduites par le Sénat, mais en supprime néanmoins bon nombre. C’est ainsi qu’on relèvera, pour mémoire, dans la dernière version du Titre 1er du projet de loi (Dispositions tendant à l’amélioration de l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire), les mesures ci-après :

Renforcement de la contractualisation

On mentionnera notamment :

  • le principe de l’inversion de la proposition contractuelle faisant du producteur l’auteur de la proposition initiale de contrat écrit (art. L. 631-24, I C. rur.) ;
  • la limitation de l’obligation de conclure un accord-cadre écrit entre une organisation de producteurs (OP) ou association d’organisations de producteurs (AOP) et l’acheteur, aux secteurs où la contractualisation est rendue obligatoire (par accord interprofessionnel ou par décret) (art. L. 631-24, I C. rur.) ; 
  • l’ajout par les députés d’une clause relative à l’origine des produits dans le contenu obligatoire du contrat et de l’accord-cadre écrit (art. L. 631-24, II C. rur.) ; 
  • l’obligation de préciser la durée du contrat ou de l’accord-cadre écrit qui devra être conclu « pour une durée, le cas échéant, au moins égale à la durée minimale fixée par un accord interprofessionnel étendu en application de l’article L. 632-3 […] renouvelable par tacite reconduction pour une période équivalente, sauf stipulations contraires » (art. L. 631-24, II et V C. rur.) ;
  • la précision des critères et modalités de détermination du prix en fonction d’indicateurs relatifs aux coûts pertinents de production en agriculture et à leur évolution, aux prix des produits agricoles et alimentaires constatés sur le ou les marchés sur lesquels opère l’acheteur et à leur évolution, aux quantités, à la composition, à la qualité, à l’origine, à la traçabilité des produits ou au respect d’un cahier des charges (art. L. 631-24, II C. rur.) ;
    S’agissant de ces indicateurs, les députés sont revenus sur l’accord trouvé avec les sénateurs en première lecture, qui donnait la possibilité aux interprofessions de les élaborer et diffuser et, à défaut, désignait l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires ou FranceAgriMer pour s’en charger. Le dernier texte adopté par les députés oblige les interprofessions à élaborer et diffuser ces indicateurs avec, le cas échéant, l’appui technique de l’Observatoire ou de FranceAgriMer.
  • la suppression par les députés de l’alinéa suivant : « Dans les contrats, le prix doit être déterminé ou déterminable par une formule claire et accessible. La connaissance par les parties et par les pouvoirs publics, des indicateurs utilisés, et de leur pondération respective doit suffire à calculer le prix. » (art. L. 631-24, II C. rur.).
    Les députés ont considéré, d’une part, que la notion de « prix déterminable » était peu claire et, d’autre part, que la référence à une connaissance du prix et de la méthode de détermination du prix par les « pouvoirs publics » pouvait être interprétée à tort comme introduisant une obligation de transmettre à ces derniers l’ensemble des formules de prix et donc des contrats.
  • l’introduction d’une obligation d’information renforcée de l’acheteur à l’égard du producteur lorsque le contrat ou l’accord-cadre ne comporte pas de prix déterminé, selon laquelle « l’acheteur communique au producteur et à l’organisation de producteurs ou à l’association d’organisations de producteurs, avant le premier jour de la livraison des produits concernés par le contrat, de manière lisible et compréhensible, le prix qui sera payé » (art. L. 631-24-2, I bis C. rur.) ;
  • le désaccord des parlementaires sur l’étendue des indicateurs devant être pris en compte dans les contrats de vente conclus par les coopératives, OP et AOP commercialisant des produits agricoles dont elles sont propriétaires ou des produits alimentaires comportant un ou plusieurs produits agricoles livrés par leurs membres (art. L. 631-24-3 C. rur.) ;
    Alors que le Sénat souhaitait que soient pris en compte les indicateurs mentionnés à l’article L. 631-24, II C. rur., les députés ont préféré que soient pris en compte les indicateurs « utilisés pour la rémunération des apports des producteurs ou, en cas de prix déterminé, relatifs aux prix des produits agricoles concernés »
  • le renforcement de l’effectivité de la clause de renégociation de prix, d’une part, par la prise en compte de nouveaux « indicateurs mentionnés à l’article L. 631-24-1 ou, à défaut, un ou plusieurs indicateurs des prix des produits agricoles ou alimentaires constatés sur le marché sur lequel opère le vendeur » et, d’autre part, par l’obligation de recourir à une phase précontentieuse de médiation auprès du médiateur des relations agricoles en cas d’échec de la renégociation (art. L. 441-8 C. com.) ; 
  • l’introduction par les députés de la nécessité de prioriser les « produits sous signes d’identification de la qualité et de l’origine » lors de l’extension d’accords interprofessionnels ou de décrets rendant obligatoire la conclusion de contrats de vente et accords-cadres écrits pour certains produits (art. L. 631-24-2 C. rur.) ;
  • la sanction de comportements abusifs (ex : fait de conclure un contrat ou accord-cadre écrit ne comportant pas les clauses obligatoires ; fait de conclure un contrat ne respectant pas un accord-cadre ; fait pour l’acheteur de ne pas proposer de contrat écrit au producteur qui en fait la demande ; fait pour le producteur de faire délibérément échec à la conclusion d’un contrat écrit en ne proposant pas de contrat) par une amende administrative d’un montant pouvant aller jusqu’à 2% du chiffre d’affaires hors taxes du dernier exercice clos de l’entreprise sanctionnée ou, dans le cas des OP ou AOP assurant la commercialisation des produits sans transfert de propriété, à 2% du chiffre d’affaires agrégé de l’ensemble des producteurs dont elles commercialisent les produits (art. L. 631-25 C. rur.).
    S’agissant de la sanction du fait pour un acheteur de refuser la proposition contractuelle qui lui est faite sans réponse écrite, les députés ont ajusté le champ de la sanction pour qu’elle appréhende plus largement « Le fait, pour un acheteur, de ne pas transmettre, par écrit, à l’auteur de la proposition de contrat ou d’accord-cadre, tout refus ou toute réserve sur un ou plusieurs éléments de cette proposition de manière motivée et dans un délai raisonnable au regard de la production concernée ».
    S’agissant de la sanction du fait pour un acheteur « d’imposer des clauses de retard de livraison supérieures à 2% de la valeur des produits livrés », les députés ont supprimé ce dispositif qu’ils avaient eux-mêmes introduit et qui avait pourtant été approuvé par le Sénat. Selon eux, il aurait créé, d’une part, « un a contrario préoccupant en validant implicitement » les clauses de retard de livraison inférieures à 2% de la valeur des produits livrés et conduit, d’autre part, « à une interdiction d’une catégorie de clauses de retard de livraison, alors que de telles clauses sont admises en droit des contrats, sous certaines conditions et sous le contrôle du juge ».

Dans un domaine voisin, on soulignera que les députés ont réintroduit, tout en la précisant, l’habilitation du gouvernement à prendre par ordonnance les dispositions applicables aux sociétés coopératives agricoles dans leurs relations avec leurs adhérents (art. 8 du projet de loi).

Renforcement de la médiation

En renforçant le rôle et les prérogatives du médiateur des relations commerciales agricoles, les parlementaires ont fait face à quelques divergences quant aux conditions précises de son action. On soulignera notamment à cet égard :

  • la suppression par les députés de l’obligation pour le médiateur des relations commerciales agricoles d’informer préalablement les parties de sa décision de saisir le ministre chargé de l’économie de toute clause contractuelle ou pratique qu’il estime abusive ou manifestement déséquilibrée (art. L. 631-27 C. rur.) ;
  • la suppression par les députés de l’obligation pour le médiateur des relations commerciales agricoles de recueillir l’accord des parties préalablement à la publication de ses conclusions, avis ou recommandations, y compris ceux auxquels il est parvenu au terme d’une médiation (art. L. 631-27 C. rur.) ;
  • la possibilité, en cas d’échec de la médiation, de saisir le président du tribunal compétent pour qu’il statue sur le litige en la forme des référés (art. L. 631-28 C. rur.).
    Les députés ont approuvé cet ajout du Sénat, tout en précisant que le juge devait statuer « sur la base des recommandations du médiateur des relations commerciales agricoles », de manière à lui permettre de « prendre une décision en toute connaissance de cause et de gagner un temps considérable ».

Relèvement du seuil de revente à perte et encadrement des promotions

  • Les parlementaires avaient trouvé un accord sur la nécessité de relever le seuil de revente à perte et d’encadrer les promotions. Toutefois, ils ne se sont pas mis d’accord sur la méthode puisque les députés ont restauré l’habilitation du gouvernement – supprimée par le Sénat qui avait préféré inscrire les mesures directement dans la loi - à procéder par voie d’ordonnance. Selon eux, les mesures adoptées par le Sénat ne précisaient pas suffisamment les références par rapport auxquelles devaient être encadrées en pourcentage les promotions, alors qu’un tel dispositif appelle « un travail très technique de rédaction juridique, qui va donner lieu à une large concertation avec l’ensemble des acteurs sur la base d’un projet d’ordonnance » (art. 9 du projet de loi).
  • Les députés ont par ailleurs restauré l’interdiction de l’utilisation, « dans la promotion par les opérateurs de vente d’un produit alimentaire », du terme « gratuit », lorsqu’il est utilisé comme « outil marketing et promotionnel dans le cadre d’une relation commerciale ». Ils l’ont néanmoins allégée puisqu’ils ont sorti de son champ les dérivés et synonymes du terme gratuit (art. 9 bis du projet de loi).

Modification du droit de la transparence et des pratiques restrictives de concurrence

Les parlementaires se sont mis d’accord sur la nécessité de modifier le droit de la transparence et des pratiques restrictives de concurrence et d’habiliter le gouvernement à y procéder pour partie.

  • Dans la dernière version du texte adopté par les parlementaires, l’habilitation définie à l’article 10 du projet de loi prévoyait :
    • la clarification des règles de facturation et la modification des sanctions de leur non-respect ;
    • la simplification et la précision des dispositions relatives aux conventions récapitulatives (art. L. 441-7 et L. 441-7-1 C. com.) et notamment « le régime des avenants à ces conventions », « la prise en compte des obligations réciproques auxquelles se sont engagées les parties afin de déterminer le prix ainsi que la définition du plan d’affaires et du chiffres d’affaires prévisionnel » ;
    • la modification des dispositions relatives « aux dates d’envoi des conditions générales de vente et aux dates de signature des conventions [récapitulatives] » ;
    • la simplification et la précision des définitions des pratiques restrictives de concurrence visées à l’article L. 442-6 C. com. et notamment « la rupture brutale des relations commerciales », « les voies d’action en justice » et « les dispositions relatives aux sanctions civiles » ;
    • la modification des dispositions de l’article L. 442-9 C. com. pour élargir l’interdiction de céder à un prix abusivement bas « aux produits agricoles et aux denrées alimentaires, tout en supprimant l’exigence tenant à l’existence d’une situation de crise conjoncturelle » et préciser notamment « les modalités de prise en compte d’indicateurs de coûts de production en agriculture » ;
    • la précision des dispositions relatives aux CGV, notamment en imposant au distributeur de formaliser par écrit « son refus d’acceptation de celles-ci » (expression substituée par les députés au terme « dérogation » adopté par les sénateurs) et de le motiver, la mise en cohérence des dispositions relatives aux produits agricoles et alimentaires, notamment « en ce qui concerne les références applicables aux critères et modalités de détermination des prix, avec les dispositions du code rural », et la modification des sanctions relatives aux manquements à ces règles « pour prévoir des sanctions administratives ».

S’agissant des mesures inscrites directement dans la loi, on relèvera notamment :

  • la suppression par les députés du nouvel abus introduit par le Sénat, interdisant les pénalités relatives au non-respect d’un taux de service portant sur la livraison de produits agricoles (art. L. 442-6, I, 14° C. com.), tout en relevant que l’article L. 442-6 C. com. permettait déjà de poursuivre cette pratique sur le fondement de deux autres abus, à savoir le déséquilibre significatif ou l’avantage sans contrepartie ;
  • la suppression par les députés de l’article attribuant aux dispositions des articles L. 441-7 et L. 442-6 C. com. le caractère de lois de police, considérant que ce dernier ne se prédéterminait pas dans la loi mais se déduisait d’une analyse du droit international (art. 10 bis A du projet de loi) ;
  • la suppression par les députés d’un article introduit par le Sénat, lequel précisait dans quelle mesure un délai de paiement dérogatoire - fixé en application de l’article L. 443-1 4° C. com. – et dont l’extension était demandée à l’autorité administrative par une organisation interprofessionnelle, constituait un abus manifeste à l’égard du créancier. Selon eux, cette disposition aurait instauré une inversion de la charge de la preuve pouvant obliger l’administration à apporter la preuve du caractère excessif de l’extension du délai de paiement.

Le Conseil constitutionnel pourrait être saisi de la constitutionnalité de certaines dispositions du texte définitivement adopté la semaine prochaine (cf. communiqué de presse publié sur le site du Sénat). Une telle saisine aurait pour effet de suspendre la promulgation du texte et, a fortiori, son entrée en vigueur, pendant le délai dont disposent les sages pour statuer, soit un mois à compter de la saisine ou huit jours à compter de la saisine dans le cas où le gouvernement demanderait l’examen du texte en urgence.

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