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Quand le droit de la santé rencontre le droit de la concurrence

March 14, 2018
by Marie Koehler de Montblanc,
Béatrice Espesson-Vergeat

Dans le cadre de son arrêt du 23 janvier 2018[1], la Cour de Justice de l’Union européenne (« CJUE »), saisie de pas moins de cinq questions préjudicielles, a notamment eu à se prononcer sur la détermination du marché pertinent de médicaments pour lesquels s’entrechoquent la vision économique et celle de santé publique.

L’une des questions principales était celle de savoir si le contenu d’une autorisation de mise sur le marché (« AMM ») pouvait conditionner l’appréciation de la substituabilité de deux médicaments à visée thérapeutique différente mais dont l’un, utilisé hors AMM, le replaçait dans le même champ thérapeutique, ce qui avait un impact sur la définition du marché pertinent retenue en droit de la concurrence.

Pour rappel, la société Genentech avait développé deux médicaments : l’Avastin – exploité par la société Roche – qui avait obtenu une AMM en janvier 2005 pour le traitement de certaines pathologies tumorales et le Lucentis – exploité par le groupe Novartis – dont l’AMM avait été délivrée en janvier 2007 pour le traitement de pathologies oculaires.

En l’absence, pour les pathologies oculaires, de médicament d’une efficacité équivalente pourvu d’une AMM avant 2007, une pratique médicale s’était répandue consistant à prescrire l’Avastin pour une utilisation off-label, à savoir le traitement des pathologies oculaires.

Après la commercialisation du Lucentis, constatant que la prescription de l’Avastin était favorisée par rapport à celle du Lucentis pour les pathologies oculaires, les laboratoires Roche et Novartis se sont alors entendus afin de faire migrer la demande vers le Lucentis.

Toutefois, les parties soutenaient qu’elles n’étaient pas concurrentes car n’étant pas sur le même marché pertinent. La société Roche soutenait notamment que l’Avastin, n’ayant pas d’AMM pour le traitement de la dégénérescence maculaire, avait été prescrit et reconditionné par la pratique médicale de manière illicite, espérant ainsi que le Lucentis et l’Avastin ne puissent être considérés comme substituables.

La CJUE, tout en soulignant que « la circonstance que des produits pharmaceutiques sont fabriqués ou vendus de manière illicite empêche, en principe, de considérer comme substituables ou interchangeables ces produits », rejette l’argument de la société Roche en remarquant qu’aucun élément ne suggérait un éventuel caractère illicite des conditions de reconditionnement et de prescription.

Elle précise ainsi que l’état d’incertitude relative à la licéité du reconditionnement et de la prescription d’un médicament n’empêche pas que ce dernier relève d’un autre marché que celui pour lequel il a reçu une AMM.

A ce titre, la CJUE ajoute que la vérification des conditions de prescription et de reconditionnement n’est pas de la compétence des autorités nationales de concurrence mais des autorités ayant compétence pour contrôler le respect de la réglementation pharmaceutique ou des juridictions nationales.

L’autorité nationale de concurrence peut donc retenir comme substituables deux médicaments ayant reçu chacun une AMM pour des pathologies distinctes, dès lors que l’un des médicaments est utilisé hors AMM aux fins de traiter une des pathologies concernées et qu’il présente un rapport concret de substituabilité avec les médicaments autorisés.

La Cour ajoute que pour établir si un tel rapport de substituabilité existe, les autorités de concurrence doivent tenir compte du résultat de l’examen de conformité réalisé par les autorités compétentes « en évaluant ses éventuels effets sur la structure de la demande et de l’offre ». Ainsi, sans pouvoir totalement exclure une AMM de leur analyse, les autorités nationales de concurrence ne sont pas contraintes, dans la définition d’un marché pertinent, par le contenu des AMM.

Par conséquent, les médicaments étant concurrents, la CJUE conclut qu’est soumis à la prohibition des ententes l’accord de licence relatif à l’exploitation d’un médicament visant à limiter les comportements de tiers consistant à encourager l’utilisation d’un médicament au profit d’un autre.

De même, rappelant la récente décision de l’Autorité française de la concurrence dans l’affaire dite « Durogesic »[2], constitue une restriction de concurrence « par objet » la diffusion, auprès de l’Agence européenne des médicaments, des professionnels de la santé et du grand public, d’informations trompeuses visant à favoriser l’utilisation d’un médicament au profit d’un autre.

Les juges luxembourgeois terminent en jugeant qu’une telle entente ne peut recevoir d’exemption individuelle.

[1] CJUE, 23 janvier 2018, Hoffman La Roche, C-179/16
[2] Cf. billet blog « Nouvelle condamnation d’un laboratoire pour dénigrement : une spécificité française » du 11 janvier 2018 https://fidal.com/fr/news/nouvelle-condamnation-dun-laboratoire-denigrement-specificite-francaise

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