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Affaire Intel : De nouvelles perspectives pour les entreprises en position dominante

October 30, 2017
by Frédéric Puel,
Lucie Marchal

L’arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) dans l’affaire Intel était très attendu (6 septembre 2017, Intel, aff. C‑413/14 P), tant du fait de l’importance de l’amende infligée par la Commission dans cette affaire, que des conséquences pratiques qu’il pouvait avoir pour les entreprises en position dominante.

Tout d’abord, l’amende de 1,060 milliard d’euros prononcée à l’époque par la Commission européenne à l’encontre de la société Intel était la sanction financière la plus forte jamais imposée à l’encontre d’une entreprise individuelle. Elle a depuis été détrônée par l’amende record de 2,42 milliards d’euros infligée à Google en février dernier. Mais surtout, la CJUE devait se prononcer sur le régime juridique des rabais d’exclusivité d’une entreprise en position dominante.

Bien que présumés illégaux depuis l’arrêt de la Cour de justice dans l’affaire Hoffman Laroche (Arrêt de la Cour, 13 février 1979, aff. 85/76, Hoffman Laroche), cette approche objective a toujours été loin de faire l’unanimité parmi les économistes (Conclusions de l’avocat général M. Nils Wahl, 20 octobre 2016, aff. C-413/14 P, Intel, point 90, et  note de bas de page numéro 64).

Dans cette affaire, la Commission avait eu recours au test du concurrent aussi efficace (dit « AEC ») pour prouver les effets restrictifs des rabais, mais le Tribunal avait quant à lui considéré qu’il n’était pas nécessaire de répondre aux arguments des requérantes portant sur ce test, dans la mesure où les rabais d’exclusivité émanant d’une entreprise en position dominante sont interdits par objet.

La Cour saisit cette occasion pour « préciser » (Arrêt de la Cour, 6 septembre 2017, aff. C‑413/14, Intel, P, point 138) sa jurisprudence dans la situation où l’entreprise conteste les effets restrictifs de concurrence de la pratique en cause. Il appartient alors à la Commission d’analyser non seulement :

  1. « d’une part l’importance de la position dominante de l’entreprise sur le marché pertinent, mais d’autre part le taux de couverture du marché par la pratique contestée, ainsi que les conditions et les modalités d’octroi des rabais en cause, leur durée et leur montant », mais également 
  2. « d’apprécier l’existence éventuelle d’une stratégie visant à évincer les concurrents au moins aussi efficaces » (Arrêt de la Cour, 6 septembre 2017, aff. C‑413/14, Intel, P, point 139 – voir, par analogie, arrêt du 27 mars 2012, Post Danmark, aff. C‑209/10, point 29). 

Pour autant, ce n’est pas sur ce fondement que la Cour a censuré l’arrêt du Tribunal. Elle précise que dans la mesure où la Commission a recouru à un test AEC et que ce dernier a « revêtu une importance réelle dans l’appréciation par la Commission de la capacité de la pratique de rabais en cause de produire des effets d’éviction de concurrents aussi efficace », le Tribunal aurait dû examiner l’ensemble des arguments présentés par Intel afin de contester l’analyse mise en œuvre par la Commission, ce qu’il n’a pas fait. L’affaire est donc renvoyée devant le Tribunal afin qu’il puisse vérifier la capacité des rabais à restreindre la concurrence.

Cet arrêt retient l’attention en ce qu’il confirme la jurisprudence traditionnelle des juridictions européennes selon laquelle « le fait pour une entreprise se trouvant en position dominante sur un marché, de lier, fut-ce à leur demande, des acheteurs par une obligation ou promesse de s’approvisionner pour la totalité ou pour une part considérable de leurs besoins exclusivement auprès de ladite entreprise constitue une exploitation abusive d’une position dominante au sens de l’article 82 CE » (Arrêt de la Cour, 6 septembre 2017, aff. C‑413/14, Intel, P, point 137, arrêt Hoffmann Laroche, point 71, arrêt du Tribunal, 9 septembre 2010, aff. T-155/06, TOMRA Systèmes e.a. / Commission, point 208).

Pour autant, la CJUE, au prétexte de « préciser » sa jurisprudence antérieure, en réduit très largement le champ d’application en ajoutant que, « dans le cas où l’entreprise concernée soutient, au cours de la procédure administrative, éléments de preuve à l’appui, que son comportement n’a pas eu la capacité de restreindre la concurrence, et en particulier, de produire les effets d’éviction reprochés » (Arrêt de la Cour, 6 septembre 2017, aff. C‑413/14, Intel, P, point 138 ), la Commission est tenue de mener une analyse de la capacité d’éviction sur la base des critères précédemment exposés (Arrêt de la Cour, 6 septembre 2017, aff. C‑413/14, Intel, P, point 139). Il en va de même pour l’appréciation du point de savoir si un système de rabais peut être objectivement justifié (Arrêt de la Cour, 6 septembre 2017, aff. C‑413/14, Intel, P, point 140).

La CJUE rapproche ainsi le régime des rabais d’exclusivité de celui applicable aux pratiques tarifaires ou aux prix d’éviction et consacre ainsi le retour à une approche économique dite « par les effets ».

Plus concrètement, pour les entreprises en position de dominance, cet arrêt est une invitation à analyser, préalablement à leur mise en œuvre, les effets des rabais d’exclusivité qu’elles envisagent de proposer à leurs clients. Si les rabais en question s’avèrent ne pas avoir d’effets d’exclusion, l’entreprise pourrait alors les mettre en œuvre. Dans ce cas, il serait utile de conserver le dossier économique prouvant l’absence d’effets restrictifs de la pratique, dans l’éventualité où l’entreprise ferait l’objet de poursuites.

En tout état de cause, il faut s’attendre à ce que les discussions devant la Commission et les juridictions européennes en matière de rabais d’exclusivité émanant d’une entreprise en position dominante portent de plus en plus sur l’analyse des effets de la pratique, dès lors que l’entreprise mise en cause soulèvera une absence d’effets de forclusion.

Dans la présente espèce, il appartient désormais au Tribunal, dans une formation différente, de mener cette analyse. Affaire à suivre…

Nota : Les aspects procéduraux de cet arrêt font l’objet d’un article à paraitre dans la revue Concurrences : A. Lacresse, « La Cour de justice de l’Union européenne conforte la compétence de la Commission pour appréhender des pratiques mises en œuvre en dehors du territoire de l’Union et exige l’enregistrement des entretiens menés dans le cadre de ses enquêtes  », Revue Concurrences n° 2017-4

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